De corvée au gîte pour sans-abri, je me prends à rêver

«Une petite taxe sur la vente de biens immobiliers pourrait servir à soutenir la construction de logements abordables», suggère l’auteur.
Photo: Jacques Nadeau Archives Le Devoir «Une petite taxe sur la vente de biens immobiliers pourrait servir à soutenir la construction de logements abordables», suggère l’auteur.

En sortant de l’édifice vers 17 h où je fais du bénévolat, je croise ceux et celles qui attendent patiemment d’y entrer. Déjà, ils ont passé la journée dehors ou dans le hall d’un centre d’achat. Il leur faut être à la porte de bonne heure parce que les derniers dormiront à l’extérieur, dans le froid, faute de place. La vie pour eux est impitoyable. Chacun le sait, c’est comme ça tous les soirs.

Ainsi, pendant ce bref instant, je côtoie les personnes qui n’ont ni toit ni adresse, et qui cherchent où dormir à Longueuil.

Je connais le dortoir où ils passeront la nuit, une grande salle au sous-sol de l’édifice où les lits superposés s’alignent de plus en plus nombreux. Le personnel de l’organisme communautaire, qui gère le gîte, doit constamment en ajouter, sans compter les lits de camp, entassés contre le mur, qui seront déployés entre les allées. Densité et proximité humaines inimaginables, inacceptables. Deux autres dortoirs plus petits sont réservés aux femmes et aux gens ayant des problèmes de santé mentale.

Ma participation, dans tout ça ? Je suis de corvée de lessive des vêtements donnée par la communauté, dont je souligne au passage la générosité. Ensuite, je les suspends à la friperie gratuite pour les personnes hébergées. Les sacs à trier sont nombreux. On garde les vêtements les plus pertinents pour la saison : manteaux chauds, pantalons, gros chandails, bottes. Les sous-vêtements et les mitaines sont rares, et on les lave précieusement. Les sacs de couchage sont appréciés aussi, car ils servent à ceux qui dorment dans la cour.

On apprend ces jours-ci que les logements pourraient augmenter de beaucoup en 2025. Moi-même, j’ai amorti un 5,8 %, en 2024. Il y a de fortes probabilités que les gens sans toit aujourd’hui le soient encore demain. Déjà, l’entrée de l’édifice où j’habite sert de refuge la nuit et celle du guichet de ma caisse Desjardins aussi. À Longueuil, oui.

Que faire ?

Cette nuit, dans un moment d’éveil, je leur ai construit un immeuble de six étages comportant de petits appartements. J’ai aussi imaginé ajouter au-dessus du gîte trois bons étages supplémentaires pour des logements. Les vêtements, c’est bien beau, mais ce sont de blocs de béton, une fondation, des plaques de plâtre que ça prend, du plancher, une minicuisine et une salle de bain élémentaire ! Je pourrais même fournir des plans.

Un toit à l’horizon ?

Mais où trouver l’argent ? Où est l’argent ? Les gouvernements n’ont plus de sous, nous dit le vent qui charrie l’air du temps. N’empêche, on sait combien le secteur immobilier en a enrichi plusieurs. Une petite taxe sur la vente de biens immobiliers pourrait servir à soutenir la construction de logements abordables. Non ?

Certains songent déjà : surtout pas de taxes, ils n’ont qu’à travailler ! Justement, on pourrait les faire participer à se bâtir un toit aux côtés de retraités qui veulent se rendre utiles. Non ? On implique l’organisme Habitat pour l’humanité, auquel ont participé Jimmy et Rosalynn Carter, pour construire des maisons pour des gens qui en ont besoin. L’organisme existe ici aussi. Je vais communiquer avec lui.

Ou faire appel aux dons ? J’avoue, il sera plus difficile d’obtenir des dons en pieds carrés de béton plutôt qu’un manteau en fin de vie. Pourtant, ce serait tellement plus pertinent. Ça mérite d’être essayé !

Je tente de réfléchir à des solutions. Je rejette l’idée de multiplier les dortoirs où faire dormir les personnes sans abri. Et ensuite, bâtir des murs entre nous et eux pour les faire disparaître. Je sais que la réaction du « surtout pas dans ma cour » est là déjà. On ne peut quand même pas les confiner sur une île du Saint-Laurent tout en se disant : « Tant pis pour eux, ça ne nous arrivera pas parce que nous sommes de bons citoyens. »

J’ai l’ambition d’un monde où l’on construit la justice. C’est aussi ça, le Québec, non ? Du moins, c’est mon Québec à moi. Et vous ? Que voyez-vous à l’horizon ? Que construisons-nous ?

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