Comme des spectateurs d’une fin du monde

Il est temps qu’on puisse entendre les préoccupations des jeunes générations, estime l’auteur.
Photo: Frederick Florin Agence France-Presse Il est temps qu’on puisse entendre les préoccupations des jeunes générations, estime l’auteur.

« Est-ce que notre génération est cooked ? » La phrase m’a été candidement lancée en classe par un élève de 5e secondaire. J’ai été déstabilisé, je l’avoue. J’ai bien compris ce qu’il voulait dire — sa génération est-elle cuite ? —, mais je lui ai quand même demandé de me l’expliquer, le temps de lui fournir une réponse potable. D’autres élèves ont renchéri. Ils m’ont surtout parlé de la crise du logement, mais également des problèmes environnementaux et du coût de la vie.

Les élèves sont au fait des problèmes de notre monde et ça les inquiète. Ils sont préoccupés par l’inaction politique. Ils sont surtout tannés de se sentir impuissants face aux bouleversements contemporains.

Je suis étudiant au baccalauréat en enseignement au secondaire depuis 2022. En classe, je constate l’angoisse des élèves face aux problèmes mondiaux complexes sur lesquels ils n’ont pas de prise. Chaque fois qu’on aborde un sujet délicat, je vois comment les élèves se sentent démunis. Ils répètent que ça ne sert à rien de s’y attaquer parce qu’on ne peut rien y changer.

Même si je leur répète qu’ils peuvent devenir des acteurs de changement, ils n’y croient pas. Face à la montée de l’extrême droite, aux dérèglements climatiques inquiétants, aux prix exorbitants des logements et surtout à l’immobilisme politique, les élèves se sentent vulnérables. Comme des spectateurs d’une fin du monde.

Comment leur expliquer dans ces conditions que je suis également inquiet de l’augmentation fulgurante des prix des logements, une crise dont la gravité est niée par nos gouvernements ? Comment leur dire que je n’arrive pas à mesurer pleinement l’ampleur des bouleversements environnementaux qui nous attendent ? Comment leur confier que le cynisme est un mal contagieux dont je souffre moi aussi ?

Mon premier appartement à Sherbrooke me coûtait 600 $. Un 4 et demie, en 2018. Maintenant, le même logement est affiché à 1300 $. Un peu plus que 115 % d’augmentation en six ans. C’est ce qui arrive quand on considère l’habitation comme un bien matériel comme un autre. Une marchandise qui suit les lois de l’offre et de la demande.

Quel monde laissera-t-on aux futures générations ?

Comment le pouvoir peut-il avoir nié aussi longtemps la crise du logement ? Comment peut-il affirmer, sans broncher, que le problème est lié à l’immigration au lieu d’en examiner toutes les causes ? Les élèves ne sont pas idiots. Ils comprennent que le gouvernement n’est pas prêt à bouger. Que ces problèmes-là ne touchent pas le pouvoir et ceux qui le détiennent, mais seulement ceux qui subissent le pouvoir.

Ils savent que la Coalition avenir Québec (CAQ), au pouvoir depuis six ans, a tardé à agir sur cette question, qu’elle préfère aujourd’hui en rejeter la faute sur l’Autre au lieu de prendre ses responsabilités. Que ça fait son affaire de pointer du doigt l’immigration. C’est trop facile de désigner un coupable, surtout s’il est étranger.

Ce sont des discours simplistes comme ceux-là qu’on tente de déconstruire en classe, mais c’est difficile. Ces discours populistes sont attrayants ; la solution et le coupable sont désignés, comme un épouvantail auquel on s’accroche.

Mes élèves entreront au cégep l’an prochain. Pour plusieurs, cela veut dire quitter le nid familial pour se trouver un logement. Ça veut dire vivre dans la misère pour payer un loyer trop cher. L’inaction politique, pour eux, est synonyme de précarité et d’angoisse.

Il est temps qu’on puisse entendre les préoccupations des jeunes générations. Il presse de leur laisser une place pour s’exprimer. Que les gouvernements leur demandent ce qui les inquiète, ce qui les touche et ce qu’ils vivent, et décident en conséquence.

Il est surtout temps que le monde politique prenne ses responsabilités. Qu’il s’attaque à la crise du logement et qu’il cesse de rejeter la faute sur l’Autre.

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