Cessons de nourrir la bête du privé en santé

Les révélations qui illustrent les dérives du secteur privé en santé et leurs effets pernicieux sur les services publics s’accumulent ces dernières semaines.
La liste est longue : analyses de laboratoire du secteur privé faites dans un réseau public déjà surchargé, groupes de médecine familiale (GMF) qui font parfois passer les profits avant les intérêts de leurs patients, Collège des médecins du Québec qui veut stopper l’expansion du privé, frein légal à l’exode des médecins envisagé par le ministre de la Santé, retrait chaotique des agences de placement en région, etc.
Ne craignons pas les mots : le privé en santé est un parasite qui se nourrit et grandit à même les échecs de notre réseau public. Plus il se développe, plus l’ogre est affamé. C’en est même rendu que le ministre Christian Dubé s’adonne à une valse-hésitation entre sevrage et complémentarité dans son discours…
C’est bien la preuve qu’il y a là un cercle vicieux, qu’on doit briser de toute urgence pour permettre aux services publics de se relever et pour améliorer l’accessibilité et la qualité des soins dont la population québécoise a grand besoin.
Le ministre Dubé devrait également s’inquiéter de l’exode des technologues de la grande famille de l’imagerie médicale. L’ordre professionnel fait état de 424 membres supplémentaires depuis 2018, dont 325 — 75 % ! — qui ont cédé au chant des sirènes et pratiquent uniquement au privé.
Plus que jamais, l’heure est venue de remettre en question la place qu’occupent les entreprises privées par rapport aux services publics. Tant et aussi longtemps qu’il y aura du profit à faire sur la santé des Québécois et que notre réseau public se reposera sur le privé comme une béquille, les centres de chirurgie, les cliniques et autres laboratoires privés continueront de parasiter le secteur public afin d’accroître leur chiffre d’affaires.
Pour que l’agence Santé Québec puisse se déployer et remplir la mission qui lui est confiée, il lui faut des bases solides. Impossible de réussir ce tour de force, notre réseau public ayant déjà un genou à terre, affaibli par l’exode du personnel et une charge de travail sans cesse grandissante pour celles et ceux qui restent et tiennent bon, gracieuseté d’un réseau privé qui le cannibalise pour engraisser ses profits.
Il faut cesser de nourrir la bête et réinvestir massivement dans nos services publics pour envoyer un signal clair aux membres du personnel que leurs métiers et professions sont promis à un avenir meilleur dans notre réseau public. Un avenir qui passe par des conditions plus attrayantes, des soins et des services plus humains et la lutte contre une surcharge de travail devenue endémique. C’est comme ça, et non par la contrainte et les primes à courte vue, qu’on regarnira durablement les effectifs.
Si c’est la direction qu’entend prendre le ministre Dubé, il pourra compter sur des alliés importants partout dans notre réseau public pour mener le navire à bon port, en toute complémentarité et sans hésitation.
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