Le bonheur de parler tout en marchant dans une cour d’école

«Certains de mes élèves sont de véritables petits péripatéticiens», observe l’auteur.
Photo: Annik MH de Carufel Archives Le Devoir «Certains de mes élèves sont de véritables petits péripatéticiens», observe l’auteur.

Nous sommes à moins d’une semaine des vacances de Noël et je suis en arrêt de travail depuis le 11 novembre pour des raisons familiales. Enseignant au primaire depuis 36 ans et passionné — encore et toujours — par mon travail auprès des enfants, je m’ennuie de mes élèves et je suis triste de ne pas pouvoir vivre avec eux cette fébrilité qui précède les vacances des Fêtes.

C’est pourquoi je voudrais rendre hommage aux élèves de mon école. Je voudrais dire la beauté, la grandeur et l’universalité de notre réalité particulière. Car il importe ici de comprendre que la vérité de la condition humaine s’exprime toujours par le biais de situations de vie concrètes et réelles.

Certains de mes élèves sont de véritables petits péripatéticiens. Ils sont, à leur manière, de vrais philosophes, des chercheurs de vérité et de sagesse. Comme les disciples d’Aristote, eux et moi discutons en marchant ensemble. De fait, Aristote, selon ce qu’en rapportent les témoignages crédibles, « enseignait en marchant dans les jardins d’Athènes », lit-on dans le Dictionnaire de la philosophie de Didier Julia.

Moi, simple enseignant au primaire, c’est en marchant avec mes élèves dans la cour d’école d’un petit village québécois que j’emploie cette technique. Je discute, pose des questions et réponds à celles qui me sont posées.

Je ne sais pas trop pour Aristote, mais, pour ma part, j’apprends beaucoup de mes élèves, et ce, sur tous les plans de mon existence. On entend toutes sortes d’absurdités sur les enfants et les adolescents d’aujourd’hui, mais si je me fie à mon expérience personnelle, ils sont, pour la plupart, me semble-t-il, vifs, intelligents, sensibles et compréhensifs.

Je pense ici, à titre d’exemples, à deux de ces enfants (il y en a eu tellement, de ces belles rencontres, en plus de trois décennies d’enseignement, que je suis obligé ici de commettre une injustice qui me fait de la peine) qui ont été mes élèves pendant deux ans et qui sont rendus dans une autre classe cette année, mais qui continuent à marcher avec moi chaque fois que c’est à mon tour de surveiller à la récréation.

Jean-Michel, d’abord (prénom fictif). Un enfant exceptionnel, un enfant que l’on ne peut pas oublier. Pour son âge, il est petit, plus petit que les autres. Sa manière de bouger et de penser est différente de celle des autres. Quand il parle pour s’expliquer ou poser une question, il balance son corps dans un mouvement de va-et-vient. Certains pourraient trouver que c’est un problème, une difficulté, moi, je trouve que c’est beau, charmant et probablement aidant pour affronter les grandes questions de la vie.

C’est aussi un amoureux de la musique et des chansons. Il connaît par cœur les paroles de nombreuses chansons de Damien Robitaille, mais aussi de chansons anciennes et traditionnelles, comme Il était un petit navire et Partons la mer est belle. Il s’invente de petits livres de théorie mathématique qu’il vient me présenter lors des récréations. Travailler avec cet enfant, c’est côtoyer un miracle vivant.

Ensuite, Caroline (prénom fictif). Une enfant qui joint à une intelligence vive et sensible une grande qualité de cœur. Une première de classe qui possède une calligraphie belle et soignée. Mais également une élève toujours prête à rendre service. Dans la cour d’école, elle tient presque toujours la main de sa petite sœur. Quand elle marche avec moi, elle me parle souvent de Marcel Pagnol. Elle a vu les films La gloire de mon père et Le château de ma mère.

Je lui ai raconté que ma mère, morte il y a trois ans, était très admirative de l’œuvre de Pagnol et qu’elle était enterrée dans le cimetière en face de l’école (ce qui est tout à fait exact). Mais, pour ma part, c’est grâce à cette élève et à nos échanges que je suis allé, pour la première fois de ma vie, lire avec bonheur, tendresse et nostalgie les deux livres de souvenirs de jeunesse de Pagnol à partir desquels les films en question ont été réalisés.

C’est pourquoi, en ces jours où la fête de Noël approche, je voudrais dire merci à tous ces enfants qui m’ont fait l’immense cadeau de partager des moments précieux de leur vie, en parlant et en marchant avec moi, pendant les récréations, dans la cour d’école de notre petit village. Le souvenir de cette joie sera pour moi impérissable.

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