Bedford, la laïcité et le refus du silence mou

Si on ne parle pas de religion en classe, on ne fait pas grand-chose contre ses manifestations — des plus inoffensives aux plus nocives, fait valoir l’auteur.
Photo: iStock Si on ne parle pas de religion en classe, on ne fait pas grand-chose contre ses manifestations — des plus inoffensives aux plus nocives, fait valoir l’auteur.

Je suis nouvellement enseignant de français de 1re secondaire dans une école dont la population (tant d’élèves que d’enseignants) est à 90 % arabo-musulmane.

Je gérais récemment une crise avec ma direction d’école pour (1) avoir utilisé en classe à plusieurs reprises le mot en n (dans un contexte où un de mes élèves noirs l’avait lui-même d’abord utilisé, piégeant un de ses pairs en le lui faisant répéter pour mieux l’en accuser ensuite, et pour expliquer la différence entre citer et insulter), et (2) avoir fait mon coming out en classe (en saisissant une occasion qui m’était offerte de conscientiser mes élèves à cette réalité par mon exemple).

Dans la même conversation avec la direction, j’ai indiqué que, par intérêt et curiosité envers mes élèves et mes collègues, depuis mon embauche, j’avais commencé à lire le Coran.

La direction, déjà plutôt froide, s’est refroidie encore plus. On a dit ne pas vouloir devenir un deuxième Bedford, que l’école était laïque et qu’on n’y parlait pas de religion. Je suis resté bouche bée. On n’y parle pas de religion, mais la plupart des filles y portent le voile ; on n’y parle pas de religion, mais la plupart des garçons trop bavards s’y lancent des Inchallah ! d’un bout à l’autre de la classe ; on n’y parle pas de religion, mais quand on y a posé des pancartes contre l’homophobie, la transphobie, etc., elles ont été enlevées massivement, tant par le personnel que par les élèves.

Bref, si on n’y parle pas de religion, on ne fait pas grand-chose contre ses manifestations — des plus inoffensives aux plus nocives. C’est ce que fait le silence mou.

Je suis resté bouche bée parce que ce qui était impliqué, c’est que moi, le gai militant, je risquais d’imposer l’islamisme à mes élèves et dans mon école. Laissez-moi rire ! Quand j’étais à la Commission de la relève de la Coalition avenir Québec, je scandalisais plutôt par mon hyperlaïcité en proposant que la toponymie québécoise (noms de villes, de rues, etc.) soit débarrassée de ses « Saint » et de ses « Sainte ».

Ce que j’ai dit à la direction, après être resté bouche bée une demi-seconde, c’est que la laïcité ne consiste pas à nier l’existence de la religion, mais à chercher à ce que son emprise sur les décisions — politiques surtout, mais personnelles aussi — diminue de plus en plus. C’est une des missions que je me suis données comme enseignant, moi qui mets sur un pied d’égalité, dans mes échanges avec la classe, les mythes juifs, les mythes chrétiens, les mythes musulmans, etc.

Voilà ce qui arrive quand on se contente de s’efforcer de ne pas parler des choses : on a une réaction épidermique au nom d’une chose, sans comprendre ce qu’elle est au fond. C’est du fétichisme, c’est du totémisme, c’est de l’animisme. Les mots ne sont rien ; les choses sont tout. Craignez moins les mots et plus les choses. Parce qu’éviter de parler de religion est le meilleur moyen de faire le lit de l’intégrisme religieux.

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