L’alpha en détresse

«Après autant de générations à reproduire les mêmes schémas et atteindre les mêmes résultats, il serait temps de briser le cycle», dit l’auteur.
Photo: Craig Whitehead Unsplash «Après autant de générations à reproduire les mêmes schémas et atteindre les mêmes résultats, il serait temps de briser le cycle», dit l’auteur.

La sortie du documentaire Alphas fait beaucoup réagir. Dans le cadre de mon travail comme intervenant psychosocial, j’ai rencontré de nombreux hommes en détresse qui se perçoivent comme des « tough ». Je remarque que les hommes en détresse et les alphas ont plusieurs valeurs communes, dont la force, le contrôle et la robustesse affective.

Je vous présente la situation de Tommy* (nom fictif), ayant le profil type d’un homme en détresse. Tommy se reconnaît dans le stéréotype d’un mâle alpha et admet avoir encore beaucoup de travail à faire sur lui-même. Il accepte sans hésitation que nous partagions son histoire dans l’espoir de prévenir des dérapages comme il en a lui-même vécu.

Tommy est persuadé qu’il doit avoir le rôle de pourvoyeur dans sa famille. Ainsi, il accapare de lourdes responsabilités et tente de démontrer sa force en portant tout ce poids sur ses épaules. Pour Tommy, être assez compétent ne suffit pas, il doit être le meilleur dans tout. Lorsqu’il fait face à des défis, Tommy ne cherche pas des solutions, il les trouve.

Le problème, c’est que sa solution peut être efficace tout en étant inadéquate. Quand Tommy est à bout de ressources, il ne se laisse pas abattre, quitte à utiliser la violence sous différentes formes. En refusant d’accepter sa faiblesse, il fait des choix dont il devra assumer les conséquences par la suite. Par exemple, Tommy peut crier après ses enfants ou insulter sa conjointe en l’accusant d’être responsable de tous ses malheurs.

Selon Statistique Canada, 94 % des personnes incarcérées sont des hommes.

Afin de prévenir les menaces, Tommy cherche à être en contrôle de la situation. Il croit que son devoir est de protéger ses proches et de les tenir loin des dangers. La philosophie de Tommy l’amène à se croire indispensable. Malheureusement pour lui, c’est seulement dans sa tête qu’il est en contrôle. Il est impossible pour Tommy de tout contrôler, il en a seulement l’illusion.

Il a un pouvoir sur ses comportements et sur les moyens qu’il met en place, mais il est faux de croire qu’il a le contrôle sur les résultats. Aujourd’hui, Tommy remercie le système judiciaire de l’avoir empêché de se venger lorsque la mère de ses enfants a entrepris des démarches de séparation sans le prévenir au préalable.

Selon le site de l’Institut national de santé publique du Québec, il y a eu 14 femmes victimes d’homicide conjugal en 2021. La vigie du Devoir a recensé 11 meurtres conjugaux confirmés en 2024, jusqu’ici.

Tommy projette l’image d’être robuste sur le plan affectif. Il ne pleure jamais, garde pour lui ses émotions et laisse paraître qu’il est inébranlable. Pourtant, en plus d’être toxique, refouler une émotion est impossible. Elle réapparaît souvent plus tard sous la forme de la colère. Tommy reconnaît qu’il a de la difficulté à identifier ses émotions, comme son père avant lui.

Malheureusement pour Tommy, la colère ne répond pas à tous ses besoins. Tant que celui-ci est occupé à être en colère, il ne peut pas vivre de tristesse. Il n’est donc pas disposé à entamer un processus de deuil afin de réussir, un jour, à passer à autre chose. Il désire apprendre à gérer ses émotions afin de montrer à ses enfants comment exprimer leur détresse. En cas de situation difficile, il invite les hommes en détresse à aller chercher de l’aide au lieu de se refermer sur eux-mêmes.

Selon Statistique Canada, le taux de suicide est trois fois plus élevé chez les hommes que chez les femmes.

Après autant de générations à reproduire les mêmes schémas et atteindre les mêmes résultats, il serait temps de briser le cycle.

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