Le 6e pouvoir et son rôle essentiel

«Le 6e pouvoir, celui qu’il faut préserver à tout prix, ce sont les universités qui le détiennent lorsqu’elles sont accessibles et autonomes, et qu’elles évoluent dans un contexte de liberté universitaire», fait valoir l’auteur.
Photo: iStock «Le 6e pouvoir, celui qu’il faut préserver à tout prix, ce sont les universités qui le détiennent lorsqu’elles sont accessibles et autonomes, et qu’elles évoluent dans un contexte de liberté universitaire», fait valoir l’auteur.

Les universités jouent un rôle majeur dans la qualité des institutions démocratiques ici et ailleurs dans le monde. Aux États-Unis, la prochaine présidence de Donald Trump laisse présager un affaiblissement de leur influence. Ce chef d’État acceptera-t-il qu’un expert de Berkeley le contredise ? On peut en douter.

J’ai eu la chance d’étudier quatre ans au doctorat à l’Université Carnegie Mellon. À l’époque, les coûts annuels s’élevaient déjà à 35 000 $ américains. Aujourd’hui, ils dépassent les 80 000 $. Sans bourse, jamais je n’aurais pu financer mes études. Peu de gens aux États-Unis ont cette chance. Une famille moyenne doit souvent réhypothéquer la maison familiale pour permettre aux enfants d’aller à l’université.

Ce manque d’accessibilité fait que l’on s’interroge forcément sur la plus-value de l’investissement. Mes enfants gagneront-ils vraiment plus qu’avec un diplôme du secondaire ? Les universités américaines font face à un véritable ressac et à une perte de confiance.

S’ajoute à cela la remise en question de l’essence même de l’université. Un article publié en octobre 2024 par University World News rapporte le résultat d’un sondage récent selon lequel près des deux tiers des républicains pensent que les établissements d’enseignement supérieur ont un effet négatif sur leur pays.

Comment peuvent-ils penser cela ?

C’est que l’université est un lieu de liberté. On y apprend à vivre, à débattre, à remettre en question conventions, croyances et dogmes. L’université forme des démocrates.

L’université, par son indépendance et ses nombreuses expertises, est aussi celle qui établit de façon crédible ce qui est un fait et ce qui ne l’est pas. À l’heure de la désinformation, l’université est l’une des rares sources sûres d’information.

La presse est le 4e pouvoir. Mais celui-ci s’érode. La montée en force des médias sociaux, où l’information n’est pas vérifiée, l’affaiblit. Le contrôle de certains médias par des groupes d’intérêt, voire des groupes politiques, lui enlève son indépendance. La presse elle-même donne de plus en plus de place à un journalisme d’opinion.

Le 5e pouvoir, souvent associé aux médias sociaux, ajoute rarement à la qualité de la démocratie. L’électeur y est mal informé, voire désinformé.

Le 6e pouvoir, celui qu’il faut préserver à tout prix, ce sont les universités qui le détiennent lorsqu’elles sont accessibles et autonomes, et qu’elles évoluent dans un contexte de liberté universitaire.

Dans ma vie de recteur, il n’est pas une journée sans que je doive défendre l’autonomie universitaire. Rassurez-vous, ce n’est pas anormal, mes collègues recteurs de toutes les universités du monde vivent la même chose.

Un mécène demande, par exemple, en contrepartie d’un don, un droit de regard sur l’enseignement ou la recherche d’une université. Cela ferait de l’université une agence de ce donateur et enlèverait toute crédibilité aux professeurs. Un don ne peut en aucun cas affaiblir l’autonomie universitaire.

Les pressions qui s’exercent sur les universités sont fréquentes et viennent autant du public que du privé. Mais elles restent mineures et relèvent souvent d’une méconnaissance des universités ou d’une simple maladresse. Un recteur doit pouvoir dire non.

Dans l’Amérique de Trump, les enjeux sont beaucoup plus graves. L’université est à risque de perdre son rôle de pilier de la démocratie.

Les professeurs de l’UQAM interviennent souvent dans le débat public. Ils le font avec des avis experts et non des opinions. Les Benoît Barbeau, Stéphanie Yates, Charles-Philippe David, Rachel Chagnon, Frédérick Gagnon, Tanya Handa, François Audet, Catherine Haeck, Philippe Gachon, Isabelle Rouleau ou Pierre Fortin, par exemple, sont des noms bien connus du grand public.

Ces experts n’ont pas peur de prendre la parole pour confirmer ou infirmer une théorie. Ils s’appuient sur des faits et des recherches rigoureuses.

Participer au débat public est un rôle que nos professeurs prennent très au sérieux. Il en va de la qualité de notre démocratie, dans un siècle où les garde-fous sont de moins en moins solides et où la pensée critique se décline trop souvent en 280 caractères.

L’université est un pilier essentiel de la démocratie. Nous nous battrons toujours pour conserver l’indépendance qui lui permet de jouer son rôle.

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