Prière de revenir à l’essentiel
Il arrive que la boussole de François Legault carbure à l’anecdote, ce qui la rend alors instable, voire inconséquente. On l’a vu dans son avertissement tout en muscle aux islamistes. Alors qu’on attendait de lui des trésors de modération et d’actions ciblées pour ramener la raison et la laïcité dans nos écoles sous pression, le premier ministre a préféré faire miroiter l’éclat d’un interdit. Et ce, même si bannir la prière dans les lieux publics n’aura aucun impact sur les errances gravissimes qu’on a pu voir à Bedford ou à Saint-Maxime.
La vie s’est chargée de le rappeler à l’ordre. Ne lui en déplaise, les attaques les plus pressantes contre la laïcité se font d’abord dans les écoles où son ministre de l’Éducation a lancé trois nouvelles enquêtes mercredi.
François Legault a raison de défendre vigoureusement les valeurs québécoises, au premier chef la laïcité et l’égalité hommes-femmes. C’est un cheval de bataille qu’il fait d’autant mieux d’enfourcher solidement que son homologue à Ottawa n’a de cesse de le piquer sur ce flanc fragile et exposé.
On ne compte plus les critiques dures, souvent injustes, formulées par le gouvernement Trudeau à l’endroit de la loi 21 sur la laïcité de l’État. Le rest of Canada n’est guère plus tendre, lui qui ne rate jamais une occasion de railler la défense de ce qui nous est le plus cher — notre langue, notre laïcité — pour l’assimiler à de détestables replis identitaires.
Sans oublier les intrusions du fédéral dans la conduite de nos institutions publiques. La dernière en date ? Cette idée d’embaucher plus de professeurs musulmans, palestiniens et arabes dans les universités et les collèges réanimée mardi par le Comité permanent de la justice et des droits de la personne pour contrer, dit-il, la montée de l’islamophobie.
Cette mesure, d’abord défendue par la représentante spéciale du Canada chargée de la lutte contre l’islamophobie, avait été pourfendue à l’Assemblée nationale en septembre. À raison. Ce n’est pas la voie que le Québec entend prendre pour lutter contre l’islamisme et son miroir malheureux, l’islamophobie, tous deux nourris à la peur de l’autre.
Aurions-nous oublié les leçons de la commission Bouchard-Taylor ? La francophonie québécoise « ne doit pas céder au parti de la peur, à la tentation du retrait et du rejet », lisait-on dans ce rapport qui gagnerait à être revisité plus souvent. Le « modèle de la peau de chagrin » « est sans avenir », poursuivaient les commissaires, en invitant les Québécois à rechercher « l’équilibre et l’équité », ce qui ne peut se faire que « dans un esprit de compromis et de clarification ».
On l’oublie trop facilement, mais la laïcité est bel et bien une affaire de balance, pas d’effacement. Si elle repose sur l’égalité morale des personnes et garantit la neutralité et l’indépendance parfaites de l’État, elle n’empêchera pas la liberté de conscience ni la liberté de religion de s’exprimer là où elles en ont le droit.
Offrir à chacun une telle liberté est facile dans l’intimité d’un foyer ou d’un lieu de culte désigné. Lorsque l’affaire prend des allures de manifestations ostentatoires, comme une prière de groupe en plein parc, par exemple, ça se corse. C’est normal.
Quelque chose se brise chaque fois que la religion prend en otage un lieu pour en exclure les autres, dès lors qu’elle cherche à imposer sa loi ou ses valeurs sur celles des autres, dès lors qu’elle élève la voix pour enterrer celles des autres. C’est contre cette mécanique toxique qu’il faut se braquer.
Parfois le bâton s’impose. Encore faut-il choisir le bon. De quoi serait fait l’interdit de prier dans les lieux publics, étant donné que les libertés d’expression, de manifester et de religion sont garanties par nos chartes ? M. Legault se dit prêt à recourir à la disposition de dérogation. D’accord, mais quid alors de son application, véritable mesure de la solidité d’une loi ?
Il est facile de voir le caractère irréaliste de l’approche punitive avec laquelle jongle le gouvernement Legault. Son caractère superficiel aussi. Car on prie en vérité bien peu dans nos espaces publics. Et ceux qui le font ne sont pas tous musulmans. La fin de semaine dernière, des chrétiens ont tenu une marche de prières dans Montréal.
Que le gouvernement n’ait plus de pitié pour le prosélytisme, c’est tant mieux. Mais qu’il choisisse mieux ses batailles. Son envie d’en découdre avec l’islam radical devrait s’appliquer à tous les prosélytismes religieux ou idéologiques qui minent notre paix sociale.
Ses actions devraient aussi se recentrer sur nos écoles publiques où des comportements prosélytes, sexistes et même homophobes ont causé des refus de service inacceptables. Il pourrait en profiter pour couper le cordon qui lie l’État aux écoles à vocation religieuse, en plus d’approfondir le ménage dans l’attribution des places dans nos garderies subventionnées où le religieux et le communautarisme ont longtemps eu prééminence.
On attend du gouvernement Legault un devoir de cohérence, de conciliation et de finesse. Pas de la poudre aux yeux, de l’huile sur le feu et des roulements de mécanique superficiels.
Ce texte fait partie de notre section Opinion. Il s’agit d’un éditorial et, à ce titre, il reflète les valeurs et la position du Devoir telles que définies par son directeur en collégialité avec l’équipe éditoriale.