
En 25 ans, un métro encore loin d’être efficace
Déjà 25 ans depuis l’an 2000. Le Devoir replonge dans un quart de siècle jalonné par des événements marquants et de nouvelles tendances qui façonnent encore notre société. Ici : comment l’offre de service du métro montréalais a-t-elle changé ?
Lorsqu’on pense au transport collectif à Montréal, en particulier à son réseau de métro, « on a parfois l’impression qu’il ne s’est pas passé beaucoup de choses depuis la période faste des années 1960 à 1980. Erreur ! Les 25 dernières années ont été riches en événements et en changements de toutes sortes », fait valoir Benoît Clairoux, conseiller en communication à la Société de transport de Montréal (STM), dans un courriel au Devoir.
Avec plusieurs ouvrages historiques à son actif, il est perçu par plusieurs comme un historien de la STM en particulier et du transport collectif de la métropole en général. Il rappelle que le dernier quart de siècle a été marqué par plusieurs événements. Notamment, il commence puis se termine par deux prolongements de lignes de métro : celui de la ligne orange, à l’aube des années 2000, et celui de la ligne bleue, amorcé cette année.

Un métro qui se développe peu à peu
En 2000, la STM s’appelait encore la Société de transport de la communauté urbaine de Montréal (STCUM). Le changement a été effectué en 2002. À l’époque, on venait d’établir les bases d’un plan concret visant à prolonger la ligne orange de l’autre côté de la rivière des Prairies.
« Ce prolongement vers Laval, on en parle depuis le milieu des années 1960, alors que la construction de la ligne orange s’arrête juste au sud de la rivière des Prairies, explique M. Clairoux. Plusieurs projets se succèdent au fil des ans, mais le contexte n’est jamais propice à leur réalisation. » C’est vers la fin des années 1990, après la création de l’Agence métropolitaine de transport (AMT), l’ancêtre de l’Autorité régionale de transport métropolitain (ARTM), que le projet prend réellement forme. L’AMT dirige ce mandat important ; en 1998, on estime alors le projet à quelque 180 millions de dollars.
« Si l’on se fie aux assurances données hier par Florence Junca-Adenot, p.-d.g. de l’Agence métropolitaine de transport, le budget prévu de 378,8 millions sera respecté », écrivait Le Devoir dans son édition du 19 mars 2002, au lendemain du coup d’envoi des travaux à Laval. Bien vite, toutefois, la réalité s’avère tout autre : à l’inauguration, en avril 2007, les coûts du projet s’élevaient à 745 millions de dollars, soit plus de quatre fois le budget estimé au départ.

Catherine Morency, professeure à Polytechnique Montréal et titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur la mobilité des personnes, fait remarquer que l’ajout de ces stations de métro lavalloises, bien que bénéfique, s’est accompagné de coupes dans les lignes d’autobus qui effectuaient une route similaire. « C’est le principal effet de l’ouverture du métro à Laval. Il y avait des gens dans le réseau d’autobus, lorsque des lignes se rendaient à Côte-Vertu, ou ailleurs. [À l’ouverture des stations], ces gens-là ont alors décidé de prendre leur voiture pour se rendre au métro. »
Le même phénomène s’est produit lors de l’ouverture du Réseau express métropolitain. Mme Morency se rappelle avoir expressément souligné l’importance de maintenir le service d’autobus de part et d’autre du fleuve Saint-Laurent s’il venait à y avoir un nouveau lien entre les deux rives, lors de son passage devant la Commission de consultation sur l’amélioration de la mobilité entre Montréal et la Rive-Sud à l’aube des années 2000. « Il fallait bonifier le service, et non pas le remplacer, explique-t-elle. Mais finalement, on a fait exactement ça : enlever les bus et retirer les voies réservées [sur les ponts]. »
Par ailleurs, la professeure souligne que la ligne orange était déjà la plus achalandée du réseau du métro de Montréal avant son prolongement vers Laval, et que cette ouverture a ajouté une pression supplémentaire sur la ligne. Dans son Plan de transport 2007, la Ville de Montréal prévoyait une augmentation d’environ 10 000 déplacements par jour sur la ligne orange après l’ouverture des stations lavalloises. Deux ans plus tard, on observait plutôt le double de ce nombre, révélait Radio-Canada. La Ville de Montréal faisait aussi état d’un achalandage qui « dépasse toutes [ses] prévisions » dans son Plan de transport 2008.

Un réseau qui mérite plus
« Après le prolongement à Laval, il est question de prolonger la ligne bleue vers Anjou, d’allonger la ligne jaune à Longueuil et de boucler les deux extrémités de la ligne orange », rappelle M. Clairoux.
C’est finalement le prolongement de la ligne bleue qui est priorisé. Envisagé depuis au moins 1979, ce projet, qui s’échelonnera jusqu’en 2031, coûtera près de 7,6 milliards de dollars, selon les estimations actuelles. Les travaux ont débuté cet automne, le long de la rue Jean-Talon, à l’angle des boulevards Pie-IX, Viau et Langelier, entre autres.
Mme Morency voit ce projet d’un bon œil, mais reste toutefois critique du rythme auquel ce genre d’initiative se complète. « On a enfin des projets. Ce qui est inquiétant, c’est qu’on trouve ça extraordinaire. Un réseau de transport en commun devrait être prolongé et bonifié en continu ; là, il faut déplacer des montagnes pour être capables d’entreprendre de tels projets. Ça n’a pas de bon sens. »
Elle souligne entre autres que le manque de financement a d’importantes conséquences sur le maintien et l’entretien du service, qui rend ainsi le réseau encore plus vulnérable. « On est quand même très loin de ce que ça prend pour avoir un réseau plus efficace. »
D’autres changements ont touché directement tous les usagers du métro. En 2005 débute la rénovation des voitures MR-73, la seconde génération de voitures du métro, acquises dans les années 1970. Peu de temps après, la STM annonce qu’elle acquerra une nouvelle gamme de voitures (les Azur, dont le contrat de fabrication est confié à Bombardier-Alstom), qui viendra remplacer les premières voitures, les MR-63, introduites à l’inauguration du métro de Montréal dans les années 1960.
Un autre changement fait son arrivée vers la fin des années 2000 : au revoir les cartes mensuelles en carton aux motifs changeants et aux billets de correspondance, émis par des machines à l’entrée des stations de métro. En 2002, la STM lance un projet afin de moderniser son système de titres, misant sur l’utilisation d’une carte à puce. « Il s’agit de remplacer un système existant depuis le milieu des années 1960, sinon plus ! » souligne Benoît Clairoux.
À l’automne 2008, la carte Opus fait son apparition dans le réseau de transport de la métropole et de ses environs, avant de remplacer complètement le précédent système en carton un an plus tard, en septembre 2009. Quant aux anciens billets et correspondances en papier, ils font aujourd’hui le bonheur des collectionneurs…
La voiture domine toujours
Les 25 dernières années ont-elles changé la vision du transport en commun dans la métropole ? « L’auto reste quand même le mode principal [de transport] à travers le Québec, même dans des régions comme Montréal », nuance Catherine Morency.
« On a continué à créer des quartiers qui sont très dépendants de la voiture, et l’accès à l’auto s’est beaucoup démocratisé. On a fait des gains à certains endroits, mais ces gains n’ont pas été assez importants pour compenser l’effet de l’étalement urbain », explique la professeure.
Les données de la dernière enquête de l’ARTM, réalisée tous les cinq ans, lui donnent raison. Environ les deux tiers (66 %) des déplacements effectués dans la grande région de Montréal se sont faits en voiture en 2023. Le transport collectif, lui, constituait 13 % des déplacements.
Le nombre quotidien de trajets en transport collectif en période de pointe matinale a connu une hausse entre 2003 et 2018 dans toutes les régions étudiées par l’ARTM, atteignant un sommet de 477 000 déplacements, mais il a ensuite connu une baisse significative entre 2018 et 2023, après la montée en popularité du télétravail depuis la pandémie de COVID-19. On comptait 50 000 déplacements de moins en transport collectif en 2023 par rapport à 2003 sur le territoire étudié par l’ARTM ; à Montréal, les trajets en transport en commun ont connu la plus forte baisse, passant de 260 000 en 2003 à 236 000 en 2023.