Les indansables budgets de la danse au Québec

«Les chiffres de notre analyse sont solides. Ils sont réels, froids», affirme Parise Mongrain, directrice générale du Regroupement québécois de la danse.
Photo: Getty Images «Les chiffres de notre analyse sont solides. Ils sont réels, froids», affirme Parise Mongrain, directrice générale du Regroupement québécois de la danse.

Le Regroupement québécois de la danse (RQD) est très inquiet. Le milieu, qui n’a jamais été riche ici, perd encore des moyens. C’est ce que démontre l’analyse du RQD des fonds octroyés par le Conseil des arts et des lettres du Québec (CALQ) pour le fonctionnement des compagnies d’ici. Peut-on encore éviter une danse des épuisements ?

L’enveloppe du Soutien à la mission du CALQ pour la danse comptait 10 797 325 $ en 2017-2018. En 2024-2025, et en incluant les aides spéciales, qui ne sont pas récurrentes et ne permettent pas aux compagnies de planifier à moyen terme, cette enveloppe était à 13 035 950 $.

Or, si le montant réservé à la danse avait suivi l’inflation, il aurait dû être de 13 306 795 $ en 2024, selon la feuille de calcul de l’inflation de la Banque du Canada.

Ainsi, même si la subvention de base a crû de 12,9 % depuis 2017-2018, l’augmentation ne permet pas de suivre les explosions de coûts. C’est ce qu’on lit dans l’étude Programme Soutien à la mission du CALQ, concours 2024, réalisée par le RQD, que Le Devoir a consultée.

« Les chiffres de notre analyse sont solides. Ils sont réels, froids », affirme Parise Mongrain, directrice générale du RQD. « Ils représentent le trop peu qui pourra se faire en danse dans ce cycle de 4 ans. »

« Des missions de sauvetage »

Ce qui se lit sous ces montants, selon Mme Mongrain, c’est tout « ce qui est et sera repoussé, fusionné, reconfiguré, abandonné, licencié, oublié en danse, et ce, de manière contrainte ».

« Les décisions de cet ordre que les organismes du secteur prennent en ce moment ne sont pas orientées vers une optimisation des pratiques. Ce sont des missions de sauvetage », affirme la directrice et ex-danseuse.

Lors du renouvellement du Soutien à la mission, en 2024, la danse a demandé 19 310 114 $. Elle a obtenu 13 021 190 $. C’est un manque à gagner de 6 288 924 $ par rapport aux besoins exprimés par le milieu même.

Aussi, 37 % des compagnies reçoivent le même montant de base qu’en 2017-2018. Dans l’ensemble, les « organismes n’ont reçu en moyenne que le tiers des fonds demandés », indique le RQD dans son analyse, ce qui en pousse « quelques-uns à considérer de refuser leur admission » dans ce programme, le seul qui assure de la stabilité au-delà d’un an, car le montant leur semble insuffisant pour un fonctionnement adéquat. D’autres choisissent de « contester le montant reçu ».

Face à ce manque de sous, les compagnies ont réagi en éliminant des ressources humaines, en se lançant dans moins de projets et en diminuant les risques dans leurs créations ou leurs programmations, selon le sondage qui complète l’étude des données du CALQ.

De leur point de vue, 31 % des organismes se considèrent comme « non viables », ou avec une « viabilité compromise ». Pour le RQD, ce chiffre est un symptôme d’une décroissance annoncée de la danse québécoise, qui a été, dans les années 1990 et débuts 2000, une ambassadrice de la créativité artistique québécoise, de sa spécificité, sur les scènes du monde.

Même la mutualisation des ressources, que la danse expérimente depuis plus d’une trentaine d’années, à travers des organismes comme Diagramme gestion culturelle, Circuit-Est ou La Machinerie des arts, ou que des compagnies testent au sein de leur structure, comme le fait Lorganisme, par exemple, n’est plus une solution.

Car quand même ces organismes manquent de sous, les conséquences sont larges et touchent beaucoup plus de monde.

Pour le RQD, cette situation est même un avertissement que devraient considérer les disciplines qui n’ont pas encore tenté la mutualisation. Il y a aussi là un risque réel d’effritement.

Des effets de la crise sur les muscles

Si les nouveaux dirigeants en danse peuvent être motivés par ces grands défis, le RQD remarque que les gestionnaires d’expérience, eux, « sont lassés par le fait de devoir à nouveau affronter une crise ».

« Être soulagé de ne pas avoir été coupé, alors que l’organisme reçoit le même montant qu’en 2018, en dit long sur la surexposition au risque et le phénomène d’habituation qui s’est installé chez certains », réfléchit le RQD.

« Il n’est plus question de résilience, terme mésusé, puisqu’il ne s’agit pas d’un obstacle passager, mais d’un climat d’insécurité permanent et usant. »

Le RQD commente également l’analyse de la Chambre de commerce de Montréal, qui remarquait que si l’offre de spectacles a augmenté au Québec de 60 % entre 2004 et 2022, l’augmentation n’est que de 2 % en danse.

En comparaison, l’humour a explosé, avec +195 %. Le théâtre, de son côté, produit 35 % de spectacles de plus. La danse, donc, perd déjà du terrain. Pour le RQD, un redressement majeur est urgent.

Le RQD prédit que les minces réserves financières des organismes s’épuiseront cette année ou l’an prochain. Les effets du manque de financement au Soutien à la mission deviendront visibles. Les interprètes en subiront les contrecoups, et RQD s’inquiète tout particulièrement pour la relève.

Parise Mongrain conclut : « Oui, nous serons à la table de réflexion proposée par le ministère de la Culture. Oui, nous y participerons de bonne foi, mais une sérieuse correction financière est indispensable. Parce que, quoi qu’on en dise, le secteur est bel et bien engagé dans son démantèlement. »

Soutenir des missions artistiques

Le Soutien à la mission du Conseil des arts et des lettres du Québec (CALQ) est le programme qui finance le plus durablement les compagnies artistiques, celui qui offre le plus de prévisibilité, par une aide financière récurrente pour quatre ans. Seuls les organismes stables, d’au moins 5 ans, « reconnus pour l’excellence de leurs réalisations, la qualité de leur gestion et de leur gouvernance ainsi que pour leur important apport à la collectivité québécoise » sont admissibles. En raison du hiatus de la pandémie, le dernier octroi du Soutien à la mission a eu lieu en 2017. L’exercice 2024 était donc fort attendu.

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