Qu’arrivera-t-il aux migrants coincés au Mexique?

Photo: Luis Antonio Rojas The Washington Post Dans la ville de Mexico, de nombreux migrants vivent dans des camps informels.

Des dizaines de milliers de migrants du Venezuela, du Guatemala et d’autres pays sont bloqués au Mexique depuis que le gouvernement Trump a fermé le système d’asile à la frontière, augmentant la pression sur une nation qui se prépare à une vague d’expulsion de Mexicains.

La frustration avait déjà grandi au Mexique face au nombre de migrants qui campaient dans des villes éloignées de la frontière, essayant d’obtenir des rendez-vous pour demander l’asile américain par le biais d’une application mobile gérée par les services frontaliers des États-Unis. À Mexico, certains migrants ont construit des villages de tentes et dorment dans les rues. Dans un pays longtemps favorable aux migrants, les voisins ont commencé à protester.

Aujourd’hui, ces migrants n’ont pas de voie d’accès claire vers les États-Unis.

« Tout le monde est dans l’incertitude, désespéré, essayant de comprendre ce qu’il faut faire », dit le révérend Juan Luis Carbajal, qui dirige le refuge pour migrants Archangel Raphael dans le sud de la ville de Mexico.

Le gouvernement mexicain ne dispose d’aucune donnée sur le nombre d’étrangers qui attendent leur rendez-vous aux États-Unis à l’intérieur de ses frontières. Reuters et l’Associated Press, citant des responsables des services frontaliers américains, ont rapporté que chaque jour, environ 280 000 candidats à l’immigration se trouvant au Mexique tentent d’obtenir un rendez-vous. Un porte-parole des services frontaliers a déclaré ne pas pouvoir confirmer ces chiffres.

Depuis janvier 2023, près d’un million de personnes sont entrées aux États-Unis par l’intermédiaire de cette application, nommée CBP One. Une fois que les demandeurs d’asile ont obtenu leur rendez-vous — ce qui peut prendre des mois —, ils peuvent vivre et travailler aux États-Unis pendant que leur demande est traitée.

Le gouvernement Biden et le gouvernement mexicain ont fait l’éloge de ce système pour avoir mis un terme à la déferlante de migrants à la frontière. Mais les migrants se sont alors rassemblés dans des endroits comme Mexico, afin d’éviter les zones contrôlées par les cartels plus au nord.

Photo: Luis Antonio Rojas The Washington Post Le révérend Juan Luis Carbajal dirige le refuge Archangel Raphael.

L’annulation du programme CBP One survient alors que le gouvernement mexicain s’inquiète pour ses propres migrants. Il construit d’immenses abris pour ses citoyens qui pourraient être renvoyés des États-Unis dans le cadre du programme d’« expulsion massive » du président Donald Trump. Le Mexique pourrait également finir par accepter certains expulsés étrangers — bien que cela ne soit pas encore confirmé.

« Pour les expulsés mexicains, il y a un bon plan », dit Arturo Rocha, qui était un haut fonctionnaire mexicain chargé des migrations jusqu’à l’année dernière. Mais pour les étrangers actuellement bloqués au Mexique, « il y a une incertitude sur ce qui va leur arriver ».

Ils pourraient constituer un atout précieux pour le Mexique, s’ils pouvaient être intégrés au marché du travail, affirme-t-il. Mais, comme aux États-Unis, il est difficile pour les immigrants sans papiers d’obtenir un statut légal.

La ville de Mexico est submergée par les migrants

Après sept mois passés dans la capitale mexicaine, Maribi Ruiz, 42 ans, agent de sécurité vénézuélienne, était sur le point d’arriver en Californie. Elle, son mari et leurs deux fillettes avaient obtenu un rendez-vous le 2 février pour déposer leur demande d’asile. Ils avaient acheté des billets d’avion pour Tijuana. Puis, lundi dernier, quelques heures après l’intronisation de M. Trump, Mme Ruiz a ouvert l’application CBP One sur son téléphone.

Son rendez-vous avait été annulé — comme 30 000 autres.

Elle ne sait plus quoi faire. L’économie du Venezuela s’est effondrée ces dernières années. « Je n’ai jamais eu assez d’argent pour nourrir adéquatement mes enfants », dit-elle. Sa famille vit désormais dans une cabane au sol en terre battue, de la taille d’un grand placard, faite de bouts de bois et de bâches en plastique, dans un camp de migrants au nord de Mexico. Elle et son mari font de petits boulots.

Au moins, ici, ils ont les moyens de manger.

« Il est hors de question que je retourne au Venezuela », dit-elle.

Photo: Luis Antonio Rojas The Washington Post Maribi Ruiz (à gauche) vit dans l’incertitude faute de pouvoir demander l’asile au États-Unis.

La ville de Mexico n’était absolument pas préparée à l’afflux de migrants de ces deux dernières années. Les refuges de la capitale ne peuvent accueillir que 280 migrants ; les refuges gérés par des organisations caritatives peuvent en accueillir 1000 de plus, dit Temístocles Villanueva, le plus haut responsable de l’immigration de la Ville.

Environ 1700 migrants vivent dans la rue ou dans des camps informels, dit-il.

En mai dernier, des manifestations ont éclaté dans trois quartiers de la capitale où des migrants avaient installé des camps de tentes. Les habitants ont bloqué les principales avenues, brandissant des pancartes sur lesquelles on pouvait lire : « La rue n’est pas un abri ». Lorsque le gouvernement fédéral a annoncé qu’il ouvrirait un bureau de réfugiés dans le quartier chic d’Anzures, il a été accueilli par des manifestations furieuses. Le gouvernement a fait marche arrière et a déplacé l’installation dans un quartier pauvre du sud.

Le mois dernier, la Ville de Mexico a annoncé un plan visant à doubler ou plus la capacité d’accueil des centres d’hébergement pour migrants. L’annonce de M. Trump « change tout », dit M. Villanueva. Auparavant, la plupart des migrants finissaient par se rendre à la frontière. « Cette possibilité d’entrer aux États-Unis de manière légale est terminée. »

Une «salle d’attente géante»

L’afflux de migrants à Mexico est en partie dû à la conception de l’application CBP One. Jusqu’à récemment, seuls les demandeurs d’asile ayant atteint la capitale ou des endroits plus au nord pouvaient y accéder.

Dans le cadre de CBP One, les autorités américaines accordaient 1450 rendez-vous par jour pour des demandes d’asile, par le biais d’un système de loterie. Au refuge du révérend Carbajal, certaines personnes ont obtenu un rendez-vous en quelques jours. D’autres ont dû continuer à essayer pendant des mois.

« Le Mexique est devenu une sorte de salle d’attente géante », dit le prêtre catholique.

Le gouvernement Biden a poussé les gens vers l’application encore davantage en limitant l’asile pour ceux qui essayaient simplement de traverser la frontière illégalement. Ces politiques, ainsi que l’intensification de la répression mexicaine, ont permis de réduire considérablement le nombre de passages illégaux. Les responsables du gouvernement Trump voient toutefois d’un mauvais œil le programme, affirmant qu’il attirait les migrants, dont un grand nombre ne se seraient finalement pas qualifiés pour l’asile.

Le programme CBP One « était un moyen de mettre de l’ordre dans l’afflux de demandeurs d’asile, de le rendre plus sûr et plus efficace », affirme Jorge Durand, spécialiste des migrations à l’Université de Guadalajara. Mais, ajoute-t-il, « il aurait dû être accessible depuis les pays d’origine des migrants. Sinon, le problème se retrouve au Mexique ».

Photo: Luis Antonio Rojas The Washington Post « Maintenant, je me demande ce que je peux faire », témoigne Maoly Reyes.

Maoly Reyes, 32 ans, vendeuse ambulante au Venezuela, a quitté le pays en raison de la crise économique et s’est installée au Chili. Mais cette mère de deux enfants n’a pas pu obtenir de statut juridique. Attirée par la promesse de l’application CBP One, elle a entrepris le pénible voyage vers le nord, survivant à un enlèvement par un gang criminel dans le sud du Mexique.

« Je voulais une maison pour mes enfants », dit-elle en baissant les yeux alors qu’elle coupe des tomates dans la cuisine du foyer Archangel Raphael. « Maintenant, je me demande ce que je peux faire. Rentrer chez moi ? Ou rester au Mexique et essayer d’obtenir des papiers ? »

Au Mexique, on compte plus d’un million d’emplois non pourvus, selon les autorités. Mais il peut être très difficile pour les migrants d’obtenir un statut juridique. Dana Graber Ladek, représentante de l’Organisation internationale pour les migrations, explique que la procédure était coûteuse et souvent peu claire.

Néanmoins, elle dit : « Le gouvernement et la société civile font preuve d’un grand engagement pour que cela fonctionne. »

Le Mexique se prépare à l’«expulsion massive» de Trump

La présidente Claudia Sheinbaum a lancé un programme d’urgence pour se préparer à accueillir les citoyens mexicains expulsés des États-Unis. Les autorités construisent des dizaines d’abris dans les villes du nord du pays. Cette semaine, Mme Sheinbaum a déclaré que les entreprises offriraient 35 000 emplois aux personnes expulsées.

Mais il n’existe pas de programme similaire pour les migrants coincés au Mexique. Cela s’explique en partie par le fait que les autorités attendent toujours de connaître les détails de la politique de M. Trump. Celui-ci prévoit relancer un programme datant de son premier mandat, dans le cadre duquel les migrants attendaient le long de la frontière mexicaine leur rendez-vous pour une demande d’asile aux États-Unis. On ne sait pas encore s’il s’appuiera sur le Mexique pour l’accueil des personnes expulsées d’autres pays.

Photo: Luis Antonio Rojas The Washington Post Environ 1700 migrants vivent dans la rue ou dans des camps informels dans la ville de Mexico.

Mme Sheinbaum a déclaré que le Mexique agirait de manière humanitaire à l’égard des migrants étrangers à la frontière et « chercherait à les rapatrier ».

Les analystes prédisent que l’annulation du programme CBP One alimentera le trafic de migrants.

Huberson St Surin, 37 ans, un Haïtien arrivé à Mexico il y a deux mois, a déclaré qu’il n’était pas question pour lui de rentrer chez lui. De grandes parties de ce pays des Antilles sont envahies par les gangs criminels.

« Mon plan était d’aller en Amérique, jusqu’à l’arrivée de Donald Trump, qui a mis fin à tout le programme », explique-t-il, en ajoutant en riant : « Alors maintenant, il y a un nouveau plan. Attendre que Donald Trump termine ses quatre années. »

Avec la collaboration de Nick Miroff à Washington et Gabriela Martinez à Mexico

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