Pour un virage numérique libre et local

Dans le tumulte des dernières semaines, au travers du départ d’Amazon et des menaces économiques venant du gouvernement américain, quelque chose de beau a refait surface dans notre société : une volonté d’indépendance économique et une prise de conscience envers l’achat local. J’aimerais ajouter l’angle du logiciel libre à la discussion.
Je dirige CODE3, une coopérative de services informatiques spécialisée dans le développement de logiciels. Nous utilisons, développons et exploitons des logiciels libres depuis 12 ans et nous sommes la preuve que ce modèle peut être fonctionnel et être rentable. Beaucoup de nos clients sont dans le parapublic et ils profitent des forces du logiciel libre. Notre gouvernement pourrait également profiter de cet écosystème.
Étant un professionnel des technologies de l’information depuis plus de 20 ans, je suis conscient qu’il n’existe pour le moment aucune réelle option québécoise pour remplacer la majorité des logiciels de Microsoft, d’Alphabet et autres. Mais cette situation n’est pas inévitable. Si le gouvernement faisait le choix d’attribuer une partie des fonds aujourd’hui consacrés aux logiciels américains vers le développement d’outils de chez nous, nous verrions un renversement de cette tendance en moins de trois ans.
Dans les médias, diverses avenues pour reprendre notre indépendance technologique ont été soulevées. Notamment, plusieurs articles soulignaient les dépenses gouvernementales en lien avec l’hébergement en infonuagique auprès des géants du Web américains, qui s’élèvent chaque année à plusieurs dizaines de millions de dollars. Ces chiffres sont très impressionnants, mais il ne s’agit que d’hébergement, c’est-à-dire l’espace Web où sont entreposés les fichiers et logiciels. Il y a aussi toutes les licences d’outils tels que les courriels, la sauvegarde des données, ainsi que les divers logiciels de bureau, de visioconférence ou d’antivirus, qui fonctionnent tous par abonnement, une dépense annuelle colossale qui tombe directement dans les poches de ces géants américains.
Notre gouvernement fait déjà l’effort d’acheter des produits de consommation fabriqués au Québec. Il est temps que cet effort s’étende également aux logiciels utilisés dans nos nombreux ministères. Nous avons tout le talent nécessaire au Québec pour réaliser un tel projet, et même pour inspirer les autres provinces à faire de même, pour encore plus de mutualisation dans les coûts de développement et maintenance des logiciels.
Il sera essentiel de donner la priorité à des logiciels libres, conçus par des entreprises de chez nous et issues de l’économie sociale. C’est la seule façon de garder le contrôle sur l’utilisation de nos données et de garantir l’application de nos lois sur la protection des renseignements personnels.
Je ne parle pas de refaire la même expérience que le Panier bleu (soit créer un OBNL financé par l’État pour développer un logiciel). Je parle de mandater des entreprises d’ici qui sont déjà spécialisées dans les logiciels libres pour les bonifier selon nos besoins. Il est pratiquement impossible de tuer un logiciel libre si sa communauté est forte. D’ailleurs, si le Panier bleu avait été un logiciel libre et rendu disponible à la collectivité, plusieurs communautés l’utiliseraient certainement encore.
L’Allemagne applique ce modèle pour améliorer sa souveraineté numérique à travers son initiative openCode depuis 2022. Chez nous, il y a l’Université du Québec à Montréal qui contribue déjà à la plateforme libre Moodle. Allons plus loin encore dans cette direction ! L’avenir du numérique, ça se passe dans le collectif et le libre !
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