L’urgence d’adopter la loi sur les méfaits en ligne

Après bientôt quatre ans de consultations et de débats, il est plus que temps d’adopter le projet de loi C-63, la Loi sur les préjudices en ligne. Ce projet de loi vient moderniser les lois canadiennes en imposant des obligations ciblées aux réseaux sociaux pour lutter contre certains des pires fléaux qui sévissent sur Internet.
Le ministre de la Justice ayant décidé de retirer de ce projet les dispositions qui soulevaient des réticences auprès des défenseurs des libertés expressives, rien ne justifie qu’on reporte encore plus la mise en place de cette loi qui fait écho à un large consensus au sein de la population canadienne.
Le projet de loi C-63 vise sept catégories de contenu :
- celui qui victimise sexuellement un enfant ou revictimise un survivant ;
- celui qui incite à l’extrémisme violent ou au terrorisme ;
- celui qui incite à la violence ;
- celui qui fomente la haine ;
- celui visant à intimider un enfant ;
- le contenu intime communiqué de façon non consensuelle (y compris les hypertrucages) ;
- et enfin, le contenu poussant un enfant à se porter préjudice.
L’adoption de ce projet de loi alignerait le Canada sur d’autres pays qui ont adopté une loi similaire. Ici, des consultations multiples ont été menées, notamment une commission nationale, quatre assemblées de citoyens (dont une de jeunes), un groupe d’experts, ainsi que des dizaines d’autres à travers le pays. L’approche de ce projet de loi prend appui sur les expériences de l’Union européenne, du Royaume-Uni et de l’Australie.
Tel que désormais rédigé, le projet de loi C-63 reflète les consensus qui ont émergé lors de plusieurs consultations auprès des Canadiens. Il est très loin de prohiber le discours, même le plus impopulaire ou choquant aux yeux de certains. On y édicte une obligation pour les médias sociaux d’agir de manière responsable, de gérer les risques de préjudice et d’avoir des pratiques transparentes. Une autre partie du projet de loi comporte des améliorations majeures aux exigences de signalement et de retrait des contenus pédopornographiques sur les médias sociaux. L’élémentaire réflexe de protection des enfants commande l’adoption de telles mesures.
Les activités visées par ce projet de loi sont très éloignées des valeurs que protège la liberté d’expression telle qu’elle est comprise au Canada. Par exemple, le projet de loi oblige les médias sociaux à limiter les risques d’exposition aux contenus qui font la promotion de la haine. Surtout, il définit très soigneusement ce qui est interdit. Il s’agit du propos qui « exprime de la détestation à l’égard d’un individu ou d’un groupe d’individus ou qui manifeste de la diffamation à leur égard et qui, compte tenu du contexte dans lequel il est communiqué, est susceptible de fomenter la détestation ou la diffamation d’un individu ou d’un groupe d’individus » en se basant sur un motif de discrimination fondée sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l’âge, le sexe, l’orientation sexuelle, l’identité ou l’expression de genre, l’état matrimonial, la situation de famille, les caractéristiques génétiques, la déficience ou l’état de personne graciée.
Ce n’est pas n’importe quel commentaire maladroit ou désobligeant qui est visé, mais plutôt le propos clairement haineux et incompatible avec le respect de la dignité humaine.
Pour assurer l’application effective des interdictions et obligations qu’il édicte, le projet de loi C-63 propose d’établir la Commission canadienne de la sécurité numérique, qui veillerait à l’exécution et au contrôle de l’application de la loi. De même, un poste d’ombudsman de la sécurité numérique sera créé. Ce dernier aura le mandat de procurer un soutien aux utilisateurs des médias sociaux et de promouvoir l’intérêt public en matière de sécurité en ligne. C’est une approche semblable à celle que le gouvernement conservateur au Royaume-Uni a mise en place il y a déjà quelque temps.
Le Canada a trop tardé à élaborer une politique sérieuse sur les préjudices en ligne. Il n’y a donc plus de temps à perdre.
La mise en place du projet de loi C-63 placerait le Canada au nombre des pays démocratiques qui sont déterminés à passer de la parole aux actes pour assurer la protection des enfants dans les espaces en ligne et lutter effectivement contre la cyberintimidation et les autres comportements criminels qui empruntent les voies d’Internet.
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