La tragique insignifiance de l’Europe

Le secrétaire américain à la Défense, Pete Hegseth, le 13 février 2025 à Bruxelles
Photo: Simon Wohlfahrt Agence France-Presse Le secrétaire américain à la Défense, Pete Hegseth, le 13 février 2025 à Bruxelles

Le quotidien Le Monde a résumé en un mot l’état des Européens à propos d’une entente entre Donald Trump et Vladimir Poutine sur l’Ukraine : ils étaient « sonnés », et c’est peu dire. « Hagards » serait plus juste.

En effet, il y avait quelque chose de pathétique à voir et à entendre tous ces chefs de la diplomatie de plusieurs pays réunis à Paris pour discuter de l’Ukraine, errer dans les couloirs à ruminer leurs réactions à la nouvelle d’une sorte d’accord américano-russe sur la fin du conflit en Ukraine. Finalement, devant les micros, chacun y allait de ces poncifs que nous entendons depuis trois ans concernant ce conflit et qui consistent à répéter comme un mantra qu’il ne se fera rien sur l’Ukraine sans l’Ukraine.

Certains avaient la posture des jours de résignation, d’autres cherchaient à présenter la nouvelle sous un jour plus positif. La déclaration la plus chargée de défiance est venue de Kaja Kallas, la cheffe de la diplomatie européenne, pour qui « toute solution rapide est un sale accord », soulignant qu’« aucun accord dans notre dos ne fonctionnera ». Et, pour bien marquer son dégoût, elle n’a pas hésité à dégainer le gros mot : cette « stratégie de l’apaisement », comparable selon elle à ce qui s’est produit avec l’Allemagne nazie au détriment de la Tchécoslovaquie en 1938, ne fonctionnera pas, a-t-elle également lancé.

Lorsqu’on n’a plus d’argument, on sort les comparaisons boiteuses et ignobles. Cela montre toute l’immaturité de la haute représentante de la diplomatie de l’Union européenne (UE), une fonction sans aucun pouvoir et sans aucune influence sur les politiques étrangères des 27 membres de l’UE. En même temps, elle est le visage international de l’Union, et jamais cette Union n’aura paru aussi insignifiante et aussi mal représentée qu’actuellement.

L’Europe est maintenant hors-jeu sur le dossier ukrainien, et on a du mal à voir émerger de sa part un argumentaire sérieux pouvant contrer le discours trumpien, autrement qu’une litanie de plaintes contre Washington. Le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, est loin d’être mieux loti. Depuis le début, cette guerre est planifiée à Washington et à Londres et est d’abord destinée à affaiblir la Russie. Maintenant, c’est Washington et Moscou qui mènent la danse et négocient le sort de l’Ukraine. Ce n’est pas Munich 1938, c’est plutôt Yalta 1945.

Un discours brutal, mais nécessaire

Les chefs de la diplomatie européens ont bien tenté, dans une déclaration commune, d’évoquer le danger auquel feraient face les nations atlantiques en soulignant que « nos objectifs communs doivent être de placer l’Ukraine en position de force. […] Une paix juste et durable en Ukraine est une condition nécessaire à une sécurité transatlantique forte ». Ce n’est pas le message que le secrétaire américain à la Défense, Pete Hegseth, était venu entendre. Il a plutôt livré à Bruxelles un discours brutal, mais nécessaire, sur la sécurité européenne.

Hegseth n’y est pas allé par quatre chemins. « Les États-Unis ne toléreront plus une relation qui encourage la dépendance, a-t-il dit à des ministres médusés. Notre relation donnera plutôt la priorité à l’autonomisation de l’Europe pour qu’elle assume la responsabilité de sa propre sécurité. » Le général de Gaulle aurait apprécié ce discours. Et le président français, Emmanuel Macron, devrait au moins en être satisfait.

De plus, pour Washington, l’Europe est devenue un théâtre secondaire par rapport à l’Asie. Le discours de Hegseth est à cet égard sans ambiguïté. « Nous faisons également face à un concurrent stratégique majeur : la Chine communiste, qui a les capacités et l’intention de menacer notre territoire et nos intérêts fondamentaux dans l’Indo-Pacifique », a-t-il dit. En un mot, vous, Européens, prenez-vous en charge.

Cela fait des décennies que les Européens se comportent comme des assistés sociaux face aux États-Unis. Ils dépensent juste ce qu’il faut pour leur défense tout en achetant des équipements militaires américains afin de calmer les gouvernements à Washington. Il y a deux semaines, le ministre polonais des Affaires étrangères, Radosław Sikorski, a même fait acte de soumission dans une tribune publiée par le New York Times. Dans ce texte visiblement destiné à Trump, il décrivait comment la Pologne s’alimentait à l’industrie américaine au détriment de l’industrie européenne. « Voyez comme je suis un bon élève », disait-il en substance, avant que Hegseth vienne doucher ses espérances d’une protection américaine en remerciement de ses achats d’armes.

Les Européens reconnaissent vivre dans un monde de « rivalités géostratégiques impitoyables », disait récemment la patronne de l’UE, Ursula von der Leyen. En même temps, ils demeurent divisés quant à l’attitude à adopter pour contrer ces rivalités et peser sur les grands enjeux de guerre et de paix.

Un noyau, mené par la France, cherche désespérément à ériger une Europe en puissance, alors qu’un autre, mené par la Pologne et les pays baltes, sabote toute initiative visant cette autonomisation maintenant promue par Washington. La décision de Moscou et de Washington de négocier sans les Européens le sort de l’Ukraine devrait permettre, il faut l’espérer, de réveiller les Européens. À la vitesse grand V, les Grands ne les attendent pas pour remodeler un monde en pleine reconfiguration.

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