La tragédie sanitaire en trois actes des États-Unis

Premier jour au pouvoir. Plusieurs se sont indignés du décret signé par le nouveau président des États-Unis marquant le retrait du pays comme État membre de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), incluant un arrêt immédiat de ses paiements à l’organisation.
Pas étonnant, c’est la suite logique d’une démarche que Donald Trump avait entamée en 2020, à la suite d’une performance de l’OMS jugée inadéquate face à la pandémie. Pour rappel, ce retrait avait été rétracté au premier jour du mandat de Joe Biden, en 2021. Trump rend la monnaie de sa pièce à Biden. Mais, en vrai, cette décision va bien au-delà du fait de rendre la pareille à un vieil adversaire, c’est un abandon de l’engagement des États-Unis en santé mondiale et pour une sécurité sanitaire globale.
En fait, c’est une tragédie sanitaire en trois actes : le retrait de l’OMS et deux pauses ordonnées au premier jour de son nouveau mandat.
Le retrait
Bon an, mal an, les États-Unis, avec leurs contributions fixes et volontaires, financent l’équivalent de 15 à 20 % du budget annuel de l’OMS. Au-delà d’en être le plus grand bailleur de fonds, ils ont aussi été les grands défenseurs de la santé mondiale par leur financement et leur soutien politique à l’OMS au fil des années. Leur retrait de l’OMS est notoire et aura des conséquences. Quid de la suite ? Quels États membres combleront cet écart financier ? Les paris sont ouverts : pays d’Asie ou du Golfe, économies émergentes, grandes fondations philanthropiques ?
Et qui dit nouveaux grands financeurs dit nouvelles influences en santé mondiale. On peut imaginer une OMS hypothéquée comme plateforme de partage transparent et de mise en commun sur les données épidémiologiques de pathogènes émergents, sur les échanges de connaissances scientifiques en temps réel et comme agent pour défendre l’équité en santé mondiale. La finalisation d’un traité pandémique à la prochaine Assemblée mondiale de la santé, en 2025, semble improbable.
Pause no 1
Un décret stipulant une pause sur l’aide au développement à l’étranger pour 90 jours a été adopté afin d’évaluer si ces aides sont vraiment dans les intérêts des Américains et alignées à leurs valeurs. Personne ne sait vraiment comment cela va se traduire concrètement. Cela dit, il a été quand même énoncé que l’aide à l’étranger sera dirigée vers ceux qui « nous respectent ». L’United States Agency for International Development (USAID), une agence américaine d’aide au développement international, avait prévu un budget en baisse de 20 milliards de dollars américains entre 2024 et 2025.
Quel en sera l’impact sur l’Ukraine, bénéficiaire de 17 milliards en 2023, sur ses programmes en sécurité alimentaire notamment ? Quel en sera l’impact sur le Soudan, où sévit un conflit peu médiatisé, d’une brutalité sans nom, sur ses programmes sanitaires, en sécurité alimentaire et en santé, sachant que l’USAID a dépensé 2,3 milliards de dollars américains depuis le début du conflit en 2023 ? Douze millions de déplacés internes soudanais sont dépendants de cette aide, directement ou indirectement.
Et je me dois de mentionner le President’s Emergency Plan for AIDS Relief, plus connu sous l’abréviation PEPFAR, un plan d’aide d’urgence à la lutte contre le sida à l’étranger lancé en 2003 par le président des États-Unis, George W. Bush. Ce programme a permis l’accès aux antirétroviraux pour traiter des millions d’Africains infectés par le virus de l’immunodéficience humaine (VIH). Il est vital que le renouvellement de financement se poursuive, car, chaque jour, le PEPFAR sauve des vies.
Dans le passé, les agences onusiennes du maintien de la paix et des droits de la personne ont fait face à des coupes sous des gouvernements républicains. C’est un dossier à suivre, mais il est clair que tout peut arriver et que le passé n’est pas garant du futur.
Pause no 2
Dans un premier temps, les États-Unis perdront au change sur l’accès privilégié aux données épidémiologiques sur les éclosions et sur l’émergence de nouveaux pathogènes à l’échelle mondiale. Mais le plus inquiétant, à mon humble avis, est l’ordre donné aux agences américaines en santé de faire une pause sur leurs communications externes. Cela concerne, entre autres, la Food and Drug Administration (FDA), les Centers for Diseases Control and Prevention (CDC) et les National Institutes of Health (NIH).
Concrètement, cette pause en communication signifie l’arrêt du rapport hebdomadaire de mortalité-morbidité et les alertes en santé du CDC, pour n’en nommer que quelques effets. Ainsi, il n’y aura pas de mise à jour notamment sur le nombre de cas de grippe aviaire H5N1 aux États-Unis. Nous sommes à l’aube de l’ère de l’opacité sur la surveillance épidémiologique au pays de l’Oncle Sam.
Pour nous rassurer, on nous assure que c’est pour permettre au nouveau gouvernement de jauger et de mieux comprendre le flot de communication de ces agences en santé. Mais comme voisin partageant la plus longue frontière internationale (8891 km) du monde avec eux, nous ne saurons probablement pas en temps et en heure l’évolution de l’éclosion de cas H5N1 chez leurs bovins, ou pire, chez l’humain. L’omerta sur la surveillance du H5N1 ou des autres pathogènes est un risque de santé publique important.
Tous ces décrets sont un coup dur pour l’OMS. Ils l’affaiblissent financièrement et, conséquemment, il la mine opérationnellement, en émoussant sa capacité de surveillance sanitaire sur 193 nations (États-Unis exclus, maintenant) sur des pathogènes émergents à potentiel pandémique. Pour avoir fait partie du camp qui a critiqué fortement l’OMS lors de l’épidémie d’Ebola en Afrique de l’Ouest, je demeure profondément persuadée qu’il est dans l’intérêt de tous d’avoir une OMS forte.
Il ne fait aucun doute qu’une OMS affaiblie annonce un monde dans lequel la sécurité sanitaire pour tous est hypothéquée.
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