Seuls ensemble

Si la preuve devait encore être faite, ce ne sont pas tous les psychiatres dont l’horizon se limite à la recherche sur les molécules et le fonctionnement du cerveau qui la feront.
C’est ce constat qu’on peut tirer de la lecture d’un rapport important de la Commission sur la santé mentale des jeunes paru en août dernier dans la prestigieuse revue scientifique The Lancet Psychiatry. Pilotée par le psychiatre australien Patrick McGorry, l’étude met en relief les facteurs sociaux ayant des répercussions sur la santé mentale des jeunes. Dans un nouvel acte des deux solitudes, le dévoilement du rapport n’a été couvert par aucun média francophone, même si trois chercheurs de renom de l’Université McGill y ont contribué.
Ainsi, les jeunes seraient en proie à des « méga tendances » sociales, allant des inégalités économiques à l’absence de réglementations entourant les médias sociaux. Un enjeu d’une troublante actualité qui préoccupe, nous apprenait la semaine dernière la Fédération des médecins spécialistes du Québec. On souligne, si besoin était, que les voyants de la santé mentale des jeunes sont au rouge dans pratiquement tous les pays, tant du Sud global que de l’Occident. Comme tous les grands défis qui affligent la planète, on enjoint les États à se concerter pour s’attaquer à un fléau qui fauche des vies par centaines de milliers chaque année.
Solitude
Les conclusions de ce rapport rejoignent une autre tendance alarmante, la « crise de la solitude », que le médecin-chef (surgeon general) des États-Unis a déclarée en avril 2023. La solitude serait un défi de santé publique qui aurait des conséquences aussi graves qu’une « épidémie de tabagisme », rapporte-t-il.
On peut concevoir aisément que l’augmentation de la solitude est en soi nocive pour la santé mentale, mais c’est son lien avec la polarisation politique qui est particulièrement frappant. On apprend en effet dans un article récent du mensuel The Atlantic que les Américains n’ont jamais été aussi isolés les uns des autres, ce qui réduit considérablement les occasions de socialiser avec des gens qui n’ont pas les mêmes opinions.
Polarisation
Pourquoi parler de polarisation dans un texte portant sur la santé mentale ? Parce que pour régler les problèmes mentionnés dans le rapport du Lancet, nous devons créer autant que possible de larges consensus sur des politiques sociales plus généreuses, notamment celles ayant trait au logement. Autrement, on risque d’être embourbé dans une dynamique « avance-recule », où le programme politique de chaque nouveau gouvernement est de défaire celui de son prédécesseur, condamnant notre société à la stagnation.
Nos voisins du Sud nous offrent un formidable cas d’école en la matière. On peut prendre l’exemple de l’Accord de Paris sur le climat, dont le président Trump s’était désisté en 2017, auquel s’est rallié Joe Biden en 2021 et dont vient de se désister à nouveau le 47e président des États-Unis. S’il y a une mise en garde qu’on devrait retenir de l’expérience américaine, c’est que le fossé qui peut se creuser entre les différents pans de la société à cause de la polarisation est pratiquement insondable. Et qu’on n’est pas à l’abri d’y sombrer, même au Québec.
Gauche-droite
Il ne manque pas d’exemples appartenant au registre des « guerres culturelles » pour explorer la polarisation de notre société qui, du reste, peut devenir virulente dans son expression la plus prononcée. Par exemple, trop souvent dépeints comme des plaignards par une certaine droite, les membres des communautés issues de la diversité peuvent souffrir énormément en raison de leurs différences. Et il ne s’agit pas juste de la stigmatisation ordinaire vécue au quotidien.
Ainsi, les spécialistes s’entendent désormais sur le fait que la prévalence plus élevée de psychose chez les populations afrodescendantes que dans la population générale peut s’expliquer en partie par des attitudes discriminatoires insidieuses dont elles sont les victimes. Parmi les hallucinations de certains, on rapporte même entendre des voix méprisantes racistes. Le social se fraye un chemin dans les neurones.
En retour, une certaine gauche devrait reconnaître qu’en dépit de l’urgence tout à fait réelle de changer les croyances dépassées du camp adverse, appuyer sur la pédale du progrès à vitesse grand V peut provoquer chez nombre de gens le sentiment d’être bousculé. On devrait privilégier une approche pédagogique obstinée, dénuée d’excès de passions.
Il faut donc continuellement se rappeler, dans les discussions sur la place publique comme dans son entourage, qu’en parallèle de la cacophonie que certains semblent se plaire à alimenter, il y a encore des gens qui doutent, qui sont disposés à écouter l’Autre pour avancer de manière constructive. C’est en créant des ponts qu’on saura venir à bout des obstacles qui entravent le bien-être de nos jeunes.
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