Rater le bateau du livre audio

«Le livre audio est un format hautement identitaire qui fait indéniablement partie de l’avenir du livre», fait valoir l’autrice.
Photo: Adil Boukind Archives Le Devoir «Le livre audio est un format hautement identitaire qui fait indéniablement partie de l’avenir du livre», fait valoir l’autrice.

Comme bien des Québécois, au vu des actions récentes du gouvernement Trump, j’ai moi aussi décidé de claquer la porte à la culture américaine et à ses multinationales. Au revoir, Amazon, Netflix et compagnie. On regardera des émissions québécoises. On fait de la bonne télé ici, non ? Si c’est cet électrochoc que ça prenait pour faire un virage plus que nécessaire vers notre propre culture, on va essayer de voir le verre à moitié plein ! Pendant qu’on se tourne collectivement vers des plateformes autres que celles des géants étrangers qui dictent nos vies depuis trop longtemps, me voilà en train d’espérer, de rêver à cette souveraineté culturelle qui semble nous glisser un peu plus entre les doigts à l’apparition de chaque innovation technologique.

C’est que, voyez-vous, je suis une optimiste et une rêveuse dans l’âme. Je rêve haut et loin. C’est cet aspect de ma personnalité qui m’a amenée à imaginer Narra, il y a plus de deux ans, avec pour mission première de faire rayonner la culture québécoise et francophone à travers ses livres audio. Aujourd’hui, nous sommes la seule vraie option québécoise pour remplacer Audible (Amazon). Mais la vérité, c’est qu’en ce moment, nous n’avons pas grand-chose à faire briller. Notre littérature audio est pas mal éteinte, voire inexistante.

Pendant que le livre audio est une vague qui déferle sur le monde entier, avec une croissance dans les deux chiffres depuis une décennie et un marché mondial projeté à plus de 35 milliards de dollars américains en 2030, le Québec, lui, est en train de rater le bateau.

Sur les plus de 10 000 titres en français que Narra propose dans son catalogue, moins de 1800 sont québécois ou canadiens. Je reçois chaque mois des dizaines de nouveautés européennes et je peux compter sur les doigts d’une main ce qui vient de chez nous.

Alors, comment se tourner vers nous, quand on n’existe pas tant ? Si le livre audio n’échappe pas au sous-financement chronique de notre culture, il se heurte en plus à une loi archaïque qui ne reconnaît le livre que comme un produit imprimé. Faudrait qu’on arrive en 2025.

Le livre audio, c’est une occasion en or. Une occasion qu’on regarde passer pendant que d’autres prennent la vague. On sonnait déjà l’alarme dans une lettre ouverte parue en juin 2023. On l’a répété noir sur blanc dans un mémoire déposé au ministère de la Culture et des Communications en mars dernier. Je l’ai martelé aux journalistes, à l’Union des artistes, aux conseillers des ministres, sur les panels des salons du livre depuis plus d’un an. Je l’ai clamé haut et fort dans un événement en marge du Sommet de la Francophonie à Paris en septembre dernier, invitée par nos cousins français, pendant qu’à quelques pas, notre premier ministre réitérait l’importance de protéger notre langue et l’urgence d’agir pour promouvoir la diversité culturelle face aux nouveaux défis numériques.

On l’a entendu s’inquiéter de la forte baisse de la consommation de productions culturelles francophones en ligne, surtout chez les jeunes. « Il ne faut pas rester les bras croisés. C’est inquiétant et c’est urgent d’agir », a-t-il dit. Peut-être n’avons-nous pas la même définition de l’urgence. Mais bon, nul n’est prophète en son pays, il paraît.

Le livre audio coche pourtant toutes les cases de nos priorités en matière de protection de la langue française, de découvrabilité de nos contenus culturels en ligne, de souveraineté culturelle numérique, d’accessibilité, d’attrait pour les jeunes. Il cadre parfaitement dans l’enveloppe de 187,3 millions destinée à la culture annoncée par notre gouvernement dans le Plan pour la langue française au printemps dernier : Au Québec, l’avenir s’écrit en français.

Oui, l’avenir s’écrit en français. Mais il doit aussi se faire entendre en français. Et pour ça, ça prend des moyens. Or, en ce moment, le Québec brille par son absence dans le catalogue audio francophone. On ne produit pas à la hauteur de notre littérature, de notre présence culturelle mondiale, ni des 6500 livres publiés ici chaque année.

Allouer 5 millions de cette somme à la production de livres audio québécois permettrait d’augmenter notre catalogue d’au moins 800 livres d’ici !

Honnêtement, je ne sais plus dans quelle langue le dire ! Je devrais peut-être essayer l’anglais. Ça semble marcher pour nos voisins du Sud : We are missing the boat !

Toujours est-il que j’y crois encore. Je rêve de voir Narra devenir un fleuron québécois. De nous voir nous choisir, en masse et sans compromis. Le livre audio est un format hautement identitaire qui fait indéniablement partie de l’avenir du livre. Reste à décider si on aura notre mot à dire et si on contribuera à l’écrire, cet avenir. C’est de notre littérature que l’on parle. De nos voix, de notre culture, de notre langue, mais aussi de notre économie, de nos entreprises culturelles, de nos artistes, comédiens, musiciens et artisans !

Il est temps de nous choisir. Et comme on dit par chez nous : il est temps que les bottines suivent les babines.

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