Projet 2025, ou le pouvoir d’un «think tank» à l’œuvre

Derrière les multiples décrets de Donald Trump se profile l’influence de la Heritage Foundation, un think tank de droite ultra-conservateur à la source du « Project 2025 » (Projet 2025), cet ouvrage de quelque 900 pages publié en 2023 et proposant une feuille de route pour le prochain président américain. Rarement un groupe de réflexion a pu avoir une influence aussi percutante, directe et immédiate sur les politiques publiques.
Donald Trump a bien tenté de prendre ses distances de l’organisation, mais, dans les faits, plusieurs proches du président ont contribué à l’échafaudage du Projet 2025. C’est le cas du directeur du Bureau du budget de la Maison-Blanche, Russell Vought, de Tom Homan, le « tsar des frontières », et de John Ratcliffe, le directeur de la CIA. Le vice-président J.D. Vance entretient pour sa part des liens étroits avec le leader du Projet 2025 et président actuel de la Heritage Foundation, Kevin Roberts.
La Heritage Fondation a été fondée en 1973 par la famille Coors (produisant la bière du même nom) et son entourage. C’est un groupe de réflexion dont le budget annuel, estimé à plus de 100 millions de dollars américains, provient surtout d’entreprises américaines et autres lobbies industriels, mais aussi d’organismes de charité et de dons individuels. Sa mission est de formuler et de promouvoir des politiques qui respectent les principes de libre entreprise, de réduction de la taille de l’État, de libertés individuelles, des valeurs traditionnelles américaines et d’une défense nationale forte.
Comme les autres think tanks, l’organisation intervient dans la « guerre des idées » liées aux politiques publiques, d’où la métaphore militaire du char d’assaut. La Heritage Foundation est à l’origine du mouvement de déréglementation massive de la présidence de Ronald Reagan au début des années 1980. Reconnue pour ses positions climatosceptiques, elle intervient également dans le domaine social et culturel, à partir d’un point de vue nationaliste-chrétien.
Cela nous amène au Projet 2025, dont les propositions sont actuellement mises en œuvre à un rythme effarant. Plusieurs d’entre elles glacent le sang et laissent présager des retours en arrière difficilement imaginables. En matière d’environnement, le document propose d’abandonner toute stratégie visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre et de bloquer tout nouveau projet d’énergie renouvelable visant la transition énergétique. Il propose de réduire la réglementation destinée à l’industrie des énergies fossiles, tout en prônant une exploitation accrue du pétrole, du gaz et du charbon au pays, y compris en développant des forages en Arctique.
Le Projet 2025 propose d’abolir le département de l’Éducation fédéral, qui vise à réduire les inégalités en soutenant les enfants les plus défavorisés, dans un système où le financement est très variable d’un État à l’autre. Au niveau universitaire, le Projet 2025 suggère que seuls les travaux alignés avec les principes conservateurs soient financés : exit, donc, la recherche sur les changements climatiques, les cellules souches ou la discrimination raciale.
En matière sociale, le Projet 2025 propose de renforcer une « définition biblique » du mariage et de la famille. Ses auteurs considèrent que la vie commence dès la conception et prône ainsi que tout fœtus soit protégé en conséquence. Certains observateurs craignent même que sous l’influence de la Heritage Foundation, l’accès à la contraception en vienne à se complexifier.
Pour arriver à ses fins, le think tank prône le remplacement massif de fonctionnaires fédéraux par des employés issus de nominations politiques, à partir de listes de candidats potentiels fournies par l’organisation. Si ce jeu de portes tournantes est courant en politique américaine, on prévoit cette fois politiser l’appareil de l’État bien en deçà des échelons supérieurs afin de purger l’administration publique des personnes qui n’adhèrent pas à l’idéologie conservatrice.
Le Projet 2025 vise ainsi à ce que le président ait le plein contrôle du pouvoir exécutif, le tout dans un contexte où les contre-pouvoirs sont dangereusement affaiblis. C’est le cas du pouvoir législatif, dominé par des républicains qui n’osent contredire leur chef au Congrès, alors que les démocrates peinent à trouver leur direction. Le « quatrième pouvoir », les médias, est attaqué de toutes parts, entre autres à coups de poursuites devant les tribunaux.
Reste le pouvoir judiciaire, qui heureusement joue son rôle en tentant de stopper certaines décisions jugées illégales ou inconstitutionnelles, avec tout de même à sa tête une Cour suprême à majorité conservatrice. Il reste enfin la société civile et les universités — parfois respectivement qualifiées de 5e et 6e pouvoirs — qui, on l’espère, trouveront le courage de s’opposer à une idéologie qui, à peine trois semaines après l’entrée en poste du président, fait déjà des ravages.
Qui aurait cru qu’un think tank pourrait à ce point influer sur la trajectoire d’une des plus grandes démocraties au monde ? Au regard de l’ampleur des changements en cours, il est de bon droit de se demander à quel point le Canada est à l’abri d’une telle influence sur son avenir.
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