Le progressisme québécois, un antidote à la brutalité trumpienne

«Il est temps de rebondir, d’échapper tant au découragement qu’au cynisme ou au repli sur soi», écrit l’auteur.
Photo: Archives Getty Images «Il est temps de rebondir, d’échapper tant au découragement qu’au cynisme ou au repli sur soi», écrit l’auteur.

Dans le sillage de l’intronisation de Donald Trump et de la cascade d’annonces brutales et chaotiques qu’il a depuis proférées, beaucoup ont pu expérimenter une sorte de stupeur ou, mieux dit encore, d’état de « sidération » absolu. Comme si on se retrouvait soudainement devant quelque chose d’inouï : une inversion carnavalesque de toutes nos valeurs et coutumes. « Le politiquement abject », avec ses grossièretés, son ressentiment et ses sourdes colères ou son racisme décomplexé, a décidément pris le pas sur « le politiquement correct » et son souci vertueux des apparences et des bonnes manières. Au point que cette inversion est maintenant perçue par certains — comble de l’illusion — comme une véritable victoire sur les élites du monde globalisé !

Cependant, peu d’entre nous ont jusqu’ici fait ressortir les raisons profondes qui sont à l’origine d’un tel renversement et, surtout, peu ont cherché à sonder les moyens à mettre en avant pour en affronter les dangers et déjouer ses lubies mortifères. Comment se protéger de l’autoritarisme crasse et narcissique de tels individus et, surtout, comment stopper la montée politique d’une droite extrême dont ils sont l’expression même, tout en redonnant au passage à la gauche — au camp des progressistes, donc — la force collective qui lui manque dramatiquement pour inverser le cours de l’histoire présente ?

En toute lucidité, il faut reconnaître que cette arrivée de la droite extrême fascisante au gouvernement des États-Unis comme sa présence aux portes du pouvoir dans bien des pays du monde tiennent aussi à l’incapacité de la gauche institutionnelle à s’y opposer fermement. Et plus particulièrement aux choix politiques entérinés par la vaste nébuleuse progressiste qui a eu pignon sur rue ces dernières années en Occident et qui a fini par se rallier — corps et âme — au capitalisme néolibéral et à sa démocratie libérale de basse intensité.

Cette dernière s’est montrée incapable de saisir les conséquences funestes de l’épuisement du cycle d’expansion et de renouveau lancé après la Seconde Guerre mondiale. Elle est ainsi passée à côté des inégalités socio-économiques qui n’ont cessé de déchirer en profondeur le tissu social, mais aussi du malaise grandissant qui s’installait dans de larges secteurs de la population à la suite des multiples crises qui, depuis le début du millénaire, se sont amplifiées puis combinées les unes aux autres : économique, sanitaire, écologique, politique, culturelle, etc.

La gauche institutionnelle s’est révélée incapable de contre-proposer aux sourdes inquiétudes collectives, qui s’expriment chaque fois plus, un projet politique globalisant, positif et pacifiant, susceptible de contrecarrer le repli identitaire et les logiques du bouc émissaire brandies par la droite. Elle n’a pu opposer à l’extrême droite montante qu’un front désuni, fragmenté, en tous points déconnecté des problèmes réels et des angoisses vécus par de larges secteurs de la population.

Il faut oser se le dire : comprendre ce qui nous arrive avec Trump, c’est aussi prendre acte de tout ce qui nous revient en propre. Nous qui avons rêvé à plus d’égalité sociale au Québec dans le sillage de la Révolution tranquille, nous nous retrouvons sur la défensive, enfermés la plupart du temps dans les seules logiques de l’indignation.

Il n’est pas trop tard pour réagir et nous montrer à la hauteur des formidables enjeux qui se dressent devant nous. Il est temps de rebondir, d’échapper tant au découragement qu’au cynisme ou au repli sur soi. Aux États-Unis, bien sûr, mais aussi au Canada et au Québec. Comme l’écrivait récemment Françoise David dans Le Devoir : « Opposons au défaitisme une mobilisation sociale et politique nationale, rassembleuse et forte […] Ne nous contentons pas de peu. On n’est plus nés pour un p’tit pain ! » Cette mobilisation si nécessaire ne pourra être — tant les défis qui se dressent devant nous sont vastes — que sociale et politique, donc le fait autant des mouvements sociaux que des courants politiques qui se reconnaissent de la gauche et de la lutte pour l’égalité sociale : syndicats, mouvements communautaires, mais aussi forces politiques de gauche.

Pourquoi ne pas organiser au Québec des états généraux du mouvement populaire et progressiste québécois ? Pour nous donner les moyens, depuis le progressisme, de comprendre ce qui est en train de nous bousculer si tragiquement, mais aussi pour nous donner les moyens d’y faire face en nous mobilisant autour d’objectifs sociaux et politiques partagés.

Car il ne suffit plus aujourd’hui de manifester devant le Parlement afin de faire connaître en toute civilité nos mécontentements respectifs auprès des gouvernements en place. Il faut réapprendre à redevenir une force collective qui compte, une force qui, en somme, a une prise sur l’ordre des choses et qui aura du poids dans les batailles à venir !

N’est-ce pas, en ces temps difficiles, ce à quoi nous devrions occuper nos efforts ?

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