Le petit roi 2.0

«Si l’éducation était une priorité nationale comme ces gens le prétendent, les plus récentes coupes n’existeraient pas», écrit l’auteur.
Photo: Adil Boukind Le Devoir «Si l’éducation était une priorité nationale comme ces gens le prétendent, les plus récentes coupes n’existeraient pas», écrit l’auteur.

Dernièrement, un moment somme toute important a été passé sous silence. Non, je ne pense pas à l’Épiphanie, cette fête religieuse mieux connue sous le nom de la fête des Rois, où l’on déguste une galette rendue célèbre pour sa fève magique, qui vous transforme en roi ou en reine le temps d’une soirée. Vous l’aurez deviné, ou pas, il sera question ici du premier anniversaire de la fin de la grève en éducation.

Il y a un an de cela sonnait, après six semaines de danse en ligne, le retour en classe pour les petits princes, qui, au fil des dernières années, se sont vus mériter le titre de nouveaux monarques de l’école québécoise. Y avait-il donc une fève dans chacun des morceaux de la galette ? Quid de leurs valets de service, qui avaient rangé leurs mitaines, leurs foulards et leurs tuques rouges pour signer la capitulation ?

Que reste-t-il au fond de cette guerre des tuques aujourd’hui, sinon des sujets qui ont sacrifié beaucoup pour obtenir si peu en retour ?

Le Petit Prince disait : « C’est le temps que tu as perdu pour ta rose qui fait ta rose si importante. »

« Qu’était donc le nerf de cette guerre ? Qu’était l’épine de cette fleur que l’on désirait tant s’enlever du pied ?

— La composition de la classe, Votre Altesse.

— S’est-elle améliorée ?

— Si peu, votre majesté. En l’état, il serait plus juste de parler de la “décomposition de la classe”, Votre Excellence. »

Bien sûr, il y a eu l’ajout des aides à la classe, qui sont bien appréciées — si vous avez la chance d’en bénéficier. Plusieurs avaient déjà commencé à venir prêter main-forte à l’intérieur de la forteresse scolaire. Mais on ne parle pas ici d’une révolution suffisante pour mettre un frein à l’exode des valets de l’éducation vers des royaumes plus attrayants.

Pour l’heure, le chemin du roi ressemble plus à un chemin de croix. (Oups, laïcité oblige, parlons d’un cul-de-sac.) Certains diront qu’il ne faut pas oublier la compensation financière accordée aux cohortes difficiles au primaire. C’est vrai, mais cette compensation, vous ne l’aurez que si 60 % de vos élèves se trouvent en difficulté. Six élèves sur dix avec un plan d’intervention, c’est déjà énorme pour la composition de la classe, voire impraticable. Ça l’est encore plus maintenant que les critères pour obtenir un plan d’intervention sont devenus — soudainement et presque comme par magie — plus difficiles à remplir.

N’est-ce pas malhonnête ? observeront certains. Le fait est que la composition de la classe ne pouvait pas changer avec la dernière négociation, il n’y avait pas assez d’enseignants pour ouvrir des classes supplémentaires, il n’y en a toujours pas assez aujourd’hui, et on ignore s’il y en aura suffisamment demain.

Et qu’en est-il de la négociation du contrat de travail avec les directions ? Qu’attendons-nous pour régler ce conflit ? Une école sans professeur n’est déjà pas souhaitable. Imaginez s’il fallait ajouter une pénurie de gestionnaires (qui est déjà commencée) à ce chaos existant. Ça ne sera pas facile de retenir ou bien d’attirer des forces fraîches dans des conditions pareilles.

Ne voyez-vous pas, chers dirigeants, que nous n’allons toujours pas dans la bonne direction et qu’une nouvelle crise se profile à l’horizon ? Je tente de tout mon cœur de rester positif et optimiste, mais sourire est une tâche ardue.

Si l’éducation était une priorité nationale comme ces gens le prétendent, les plus récentes coupes n’existeraient pas. Mieux, ces coupes seraient remplacées par des investissements.

Mais, où prendre cet argent ? demanderez-vous. Facile, à la même place que pour financer les Lion Électrique et autres Northvolt. À la différence que, cette fois-ci, le retour sur l’investissement sera garanti. Miser sur sa jeunesse, par le truchement de leurs professeurs, c’est lucratif à long terme.

Je vous accorde que c’est plus payant, politiquement parlant, de se faire photographier à l’inauguration d’une école toute neuve qui sent le neuf et pas le vieux pipi. Cela permet de vanter les investissements du gouvernement en place, tout en camouflant le laisser-aller des anciens gouvernements formés pratiquement des mêmes partis. Un cycle de l’absurde, quoi.

Pour couronner le tout, un centre de services annonce qu’il coupe dans le service d’impression en couleur. Ces gens rêvent eux aussi en couleurs s’ils pensent que de telles économies de bouts de chandelles vont changer la donne. Peut-être que de pouvoir gérer le chauffage sans avoir à ouvrir les fenêtres au beau milieu de l’hiver serait une meilleure option pour économiser quelques dollars, qu’en dites-vous ?

Pour rester dans le thème monarchique, le chevalier qui collecte les cotisations, censé défendre les droits des humbles et modestes vassaux — mieux connus ici sous le nom d’enseignants —, est-il le roi de la jungle ou le roi de la patate ? Avec l’austérité qui revient à l’honneur dans la seigneurie et les très peu nombreuses améliorations arrachées à la suite de cette grève, je devine que c’est plutôt le second.

Désolé pour cette épiphanie.

Dans mon âme et dedans ma tête, il y avait autrefois un petit roi, qui serait bien fâché de voir son royaume aux mains d’un petit roi 2.0 prêt à faire campagne pour enlever 200 millions au système scolaire.

La bataille s’annonce ardue.

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