Une pépite québécoise, le 388, se heurte à un réseau en santé mentale sourd et aveugle

Le 388, centre de traitement psychanalytique pour adultes psychotiques, à Québec
Photo: Google Street View Le 388, centre de traitement psychanalytique pour adultes psychotiques, à Québec

Médecins psychiatres de Sherbrooke, nous apprenons avec stupéfaction, la fermeture très prochaine du 388, un centre de traitement psychanalytique pour patients psychotiques situé à Québec. Au sein du service public en santé mentale, il s’agit d’un centre dont le travail remarquable auprès de jeunes patients initialement très malades permet pour une très grande partie d’entre eux une réinsertion citoyenne et sociale sans pareil, grâce à l’originalité du traitement.

Chacun de nous — psychiatres et résidents, professionnels, intervenants en santé mentale du Québec, des États-Unis, de France, de Belgique, d’Argentine venus au 388 comme collaborateurs, stagiaires ou visiteurs avertis — peut témoigner que les résultats obtenus sont directement et absolument liés à la psychanalyse renouvelée développée au Groupe interdisciplinaire freudien de recherche et d’intervention clinique (GIFRIC), partenaire du service public depuis plus de 40 ans. Une psychanalyse reconnue comme une innovation extraordinaire, adaptée aux défis posés par la psychose.

Chaque usager est accompagné en tout temps (il n’y a jamais d’interruption de soins ni de changements d’intervenants fréquents) par une équipe multidisciplinaire spécialement formée qui assure un traitement articulé aux effets de la cure psychanalytique.

Même les épisodes de décompensation psychotique sont pris en charge sur place pour la majorité d’entre eux, par la même équipe, avec le même indéfectible engagement. Car les services au 388 fonctionnent 24 heures par jour, 365 jours par an, ce qui permet une diminution drastique des hospitalisations, et ce, au long cours, ainsi qu’une réarticulation sociale exceptionnelle.

Le Centre 388 recevait en 2022 la médaille de l’Assemblée nationale du Québec. Sur le plan international, le traitement unique prodigué au 388 est reconnu aux États-Unis et dans plusieurs pays d’Europe, partenaires du GIFRIC.

Comme il se doit en matière d’innovation, les pratiques au 388 ont fait l’objet en 2002 d’une évaluation menée par une équipe d’experts impartiaux mandatés par le ministère de la Santé, tant auprès de l’équipe clinique qu’auprès des usagers, de leurs familles et des professionnels du milieu. Un travail clinique rigoureux, pour des résultats probants, a été souligné et retenu. Le traitement a été validé comme sécuritaire dans tous ses aspects, respectant les meilleurs standards de la psychiatrie, documentation comprise.

En 2006, des chercheurs des Universités Columbia de New York et Harvard de Boston, dans une étude commandée par le National Institute of Mental Health sur les pratiques facilitant le mieux la réinsertion sociale des personnes souffrant de troubles mentaux graves, retenaient dans leur recherche un seul centre en dehors des États-Unis, le 388.

Alors pourquoi cette décision précipitée qui jette les usagers et leurs familles dans l’angoisse ? Il faut savoir, pour un jeune qui rechute, ce qu’une hospitalisation en psychiatrie signifie de désarroi, de perte d’espoir, de rage impuissante, sans compter le risque qu’il s’en prenne à lui-même, voire à un proche dépassé et souffrant.

Des coûts trop élevés seraient en cause. Mais on fait toujours fi à la fois des coûts évités par la diminution des hospitalisations à moyen et long terme et des coûts sociaux réduits par le retour possible à une vie active. Sans compter le mieux-être sans pareil, l’espoir qui revient, l’engagement du jeune, jusque-là rétif, dans son traitement, sa liberté de parole recouvrée : tout cela est impossible à comptabiliser.

Nous refusons absolument cette chronique d’un désastre humain annoncé sans un sérieux examen des résultats obtenus au 388, lesquels ont été publiés en 2024 : les chiffres, puisqu’on nous en parle, sont précis.

Le 388 s’inscrit depuis des décennies dans le réseau public en santé mentale : il y a toute sa place, parmi d’autres modalités de soins et d’accompagnement de nos jeunes patients psychotiques.

Au surplus, qui accepterait, dans d’autres champs de la médecine et de la clinique, qu’un traitement innovant soit ainsi balayé pour le seul motif du coût ? Faut-il croire que la santé mentale de ceux qui vivent de manière récurrente des périodes si douloureuses, et leurs conséquences, ne justifie pas le meilleur pour le plus grand nombre ?

C’est ainsi que nous souhaitons, pour nos patients et leurs familles, que cette modalité d’approche de la psychose leur soit offerte ailleurs qu’à Québec, dans notre province : c’est aussi ce que souhaitent ardemment pour d’autres, les usagers du 388.

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