À partir de combien une hausse des loyers devient-elle un générateur d’itinérance économique?

Ce sont dans les logements les plus abordables que la rareté est la plus marquée, rapportent les auteurs.
Photo: Olivier Zuida Archives Le Devoir Ce sont dans les logements les plus abordables que la rareté est la plus marquée, rapportent les auteurs.

En tant qu’organismes se consacrant à prévenir et à briser le cycle de l’itinérance à Montréal et au Québec, nous ressentons une profonde inquiétude quant à la proposition du Tribunal administratif du logement (TAL) d’augmenter les loyers de 5,9 % pour l’année à venir. Bien que cette décision soit fondée sur des critères économiques, elle risque d’exacerber une crise déjà grave : celle de « l’itinérance économique », qui touche directement les ménages à faibles revenus.

Le marché locatif à Montréal est déjà dans une situation critique, comme le montre le Rapport sur le marché locatif, automne 2024 de la Société canadienne d’hypothèques et de logement. Selon ce rapport, ce sont dans les logements les plus abordables que la rareté est la plus marquée. Dans la région de Montréal, les logements affichant un loyer de 999 $ ou moins présentent un taux de vacance extrêmement faible, oscillant entre 0,0 % et 0,8 %. Dans ce contexte extraordinaire, l’accès au logement abordable devient encore plus difficile pour les ménages les plus vulnérables, et une nouvelle hausse des loyers ne fera qu’aggraver cette situation.

Pour mieux comprendre l’effet de cette hausse, imaginons un loyer moyen de 1000 $ par mois. Si celui-ci subit une augmentation de 5 %, cela représenterait une hausse de 50 $, portant le loyer mensuel à 1050 $, soit 600 $ de plus annuellement. Cette augmentation peut sembler minime, mais elle peut avoir des conséquences dramatiques pour de nombreux ménages à faibles revenus. En effet, pour ceux qui peinent déjà à garder la tête hors de l’eau, un tel ajustement peut les forcer à choisir entre payer leur loyer et subvenir à d’autres besoins essentiels, comme se nourrir ou se soigner. Vivant déjà dans une situation de précarité sociale et financière, voilà que ces ménages se retrouveront à risque d’itinérance économique, souvent pour la première fois de leur vie.

Des actions dirigées en matière de prévention de l’itinérance

Si l’on refuse comme société québécoise de mieux contrôler l’augmentation des loyers, il ne faudra pas se surprendre de voir la crise du logement et, du même coup, celle de l’itinérance augmenter grandement, et ce, dès le 1er juillet prochain.

Tous les acteurs du réseau s’accordent pour dire que la prévention de l’itinérance, en parallèle d’un nombre grandissant et suffisant de logements sociaux et abordables, constitue notre meilleure chance de voir cette crise se résorber. La Mission Old Brewery a elle-même lancé en 2021 son propre Service de la prévention, recevant près de 400 demandes d’aide pour l’année financière 2023-2024, ce chiffre promettant une croissance importante pour l’année en cours. De son côté, le Collectif québécois pour la prévention de l’itinérance, mis sur pied également en 2021, s’active à formuler et à promouvoir des recommandations de politiques publiques et de réformes juridiques en faveur de la prévention de l’itinérance au Québec.

Les gouvernements en place doivent adopter rapidement de nouvelles politiques publiques visant à protéger l’accès au logement pour les ménages à faibles revenus. Plusieurs types de solutions ont fait leurs preuves dans d’autres juridictions : la régulation des loyers et l’établissement d’un plafond annuel fixe, la mise en place de processus légaux rigoureux autorisant les hausses de loyer et la création d’un registre des loyers accessible à tous. Bien évidemment, ces mesures doivent être soutenues par un investissement important et continu dans le soutien direct pour les locataires vulnérables et dans la création et la préservation de logements sociaux et abordables.

Le logement social comme filet de sécurité

D’ici là, le logement social est et demeurera la solution de rechange nécessaire au marché locatif privé, qui devient toujours plus inabordable pour de nombreuses personnes. Pour répondre aux besoins les plus urgents, le nombre de logements sociaux doit doubler d’ici 15 ans, et les investissements gouvernementaux dans ce secteur doivent être conséquents, dès maintenant.

La situation actuelle, marquée par une rareté aiguë de logements abordables, exige des actions concrètes. Avec une hausse des loyers comme celle annoncée par le TAL en janvier, le logement privé devient de plus en plus inaccessible. Depuis des décennies, le secteur communautaire et les autres organismes sans but lucratif offrant du logement social sont au rendez-vous, portant le tout à bout de bras. C’est maintenant au secteur public d’en faire une priorité nationale et de prendre le relais pour fournir des solutions viables et durables.

La ministre France-Élaine Duranceau, responsable de l’Habitation, doit intervenir rapidement pour garantir que chaque citoyen ait un toit digne et abordable. À tout le moins, elle se doit d’imposer un gel de la hausse suggérée par le TAL pour les ménages ayant des revenus mensuels de moins de 1000 $. Pour le bien-être de toute notre société, il est essentiel que la prévention de l’itinérance soit au cœur de nos politiques publiques et que l’accès au logement soit protégé comme un droit fondamental.

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