Donald Trump, le bonapartiste

L’essence bonapartiste du personnage Trump vient récemment d’être confirmée par sa volonté de conquérir le canal de Panama et le Groenland, par la force militaire au besoin, observe l’auteur.
Photo: Andrew Harnik Getty Images via Agence France-Presse L’essence bonapartiste du personnage Trump vient récemment d’être confirmée par sa volonté de conquérir le canal de Panama et le Groenland, par la force militaire au besoin, observe l’auteur.

Lorsqu’il prit le pouvoir en France, le 9 novembre 1799 (le 18 Brumaire), Napoléon Bonaparte proclama : « La patrie n’a pas de plus zélé défenseur que moi… Venez avec nous en rendre grâce aux dieux. » Plus tard, il ajouta : « que la patrie sans nous était perdue et nous la sauvâmes ».

À l’occasion de son discours suivant sa victoire à l’élection américaine du 8 novembre 2016, Donald Trump a déclaré : « Dieu m’a épargné pour une bonne raison, celle de sauver notre pays et restaurer la grandeur de l’Amérique. » Il a repris cette vision fantasmagorique lors du rassemblement républicain tenu à Washington le 19 janvier dernier en rappelant que Dieu l’avait épargné, faisant référence à l’attentat récent dont il a été victime et qui l’a blessé à l’oreille.

L’essence du bonapartisme

Les déclarations de ces deux chefs « providentiels », même séparées par 225 ans d’histoire, expriment l’essence même de ce qu’est le « bonapartisme ». Un phénomène très singulier. On parle ici d’un « sauveur couronné » au sommet de l’État, « l’homme de la nation » ; d’un coup de force permettant l’instauration d’un pouvoir fort, dirigiste, concentré le plus souvent dans les mains d’une seule personne et son oligarchie immédiate. Les images de l’entourage richissime de Donald Trump lors de son assermentation du 20 janvier en sont une éloquente démonstration. Les visées internationales, souvent impérialistes, sont souvent au centre de ce discours « providentiel ».

Ces soubresauts bonapartistes sont très particuliers. Ils bondissent exceptionnellement lorsqu’un régime parlementaire ou républicain est en crise, menacé de dislocation et d’explosion sociale. C’est exactement ce qui survint avec Napoléon Bonaparte en 1799 dans la foulée de la Révolution française, lui qui fut nommé consul par plébiscite. Il en fut de même avec le coup d’État de Louis-Napoléon Bonaparte, le 2 décembre 1851. Les deux se sont octroyé un pouvoir personnel absolu, bien que le premier ait maintenu des institutions parlementaires.

C’est aussi ce que fit le général de Gaulle le 13 mai 1958. Il s’octroya les pouvoirs constituants pour s’assurer de la « pérennité de l’État ». Il se présentait comme « l’homme de redressement de la nation… mis en place par elle-même pour répondre à son destin ».

Le régime bonapartiste peut aussi faire irruption à la suite d’une élection et conserver des institutions parlementaires et consultatives. Il se trouve alors à se hisser sous la forme de régimes autoritaires surplombés par un « sauveur », comme le fut le régime de Habib Bourguiba en Tunisie de 1956 à 1987 (lui qui s’était initialement déclaré « président à vie »), celui de Houari Boumédiène en Algérie de 1965 à 1978 ou celui du président Nasser en Égypte de 1952 à 1970. C’est maintenant aussi le cas avec la nouvelle victoire de Donald Trump, confirmée par l’élection présidentielle.

Le « sauveur » de l’Amérique

De 2016 à 2021, s’appuyant sur sa victoire momentanée, Donald Trump s’était présenté comme le seul chef pouvant sauver l’Amérique. Avec son slogan « Make America great again », le milliardaire républicain populiste se voyait déjà comme l’homme providentiel, comme un « faucon » qui allait faire prévaloir le patriotisme économique (« America First »), sortir le pays de l’animosité, lui redonner sa fierté. Le message était déjà clair.

Son projet a toutefois été brusquement interrompu par la confirmation de la victoire démocrate le 6 janvier 2021. Ce que ne pouvait accepter le revanchard bonapartiste. Le Trump déchu a donc encouragé ses partisans à se lancer à l’assaut du Capitole. Ceux-ci menèrent une attaque d’une violence inouïe, d’autant plus que plusieurs de ces insurgés étaient lourdement armés. Ce fut presque un coup d’État. Un coup de force d’une rare brutalité contre le symbole même du pouvoir démocratique américain, le Capitole.

La consécration

Au moment présent, toujours dans cet esprit bonapartiste, Donald Trump impose son autorité avec force, fait même l’éloge de la violence. Sa décision de gracier plus d’un millier d’insurgés du 6 janvier 2021 en est une manifestation très claire. Trump piétine ainsi les règles de la démocratie et du système judiciaire en se présentant comme le seul capable d’empêcher le vacillement de l’État américain.

Au cours de la récente campagne électorale, Donald Trump a martelé les mêmes thèmes qu’en 2016 : l’urgence de bloquer l’immigration illégale, contrer la hausse du coût de la vie, déréglementer l’économie, améliorer les conditions de vie des ouvriers, mais aussi de bloquer la propagation de l’idéologie woke et de la mouvance transgenre, tout comme l’islamisme. Il a aussi appelé les classes populaires à se mobiliser pour lui. De nombreuses célébrités de Hollywood ont tenté de le bloquer, mais rien n’y fit, les démocrates ayant mené une campagne électorale communautariste décevante et impuissante à bousculer Donald Trump. Le Bonaparte américain a finalement gagné, même après ses condamnations pour fraudes financières et autres accusations criminelles.

De surcroît, l’essence bonapartiste du personnage Trump vient récemment d’être confirmée par sa volonté de conquérir le canal de Panama et le Groenland, par la force militaire au besoin. Dans le plus grand mépris de toutes les règles du droit international. La tentative de Donald Trump de reléguer l’appellation du premier ministre canadien au rang de simple « gouverneur », sa volonté de faire du Canada un 51e État américain et son intention de frapper d’une taxe de 25 % tous les produits canadiens entrant aux États-Unis, tout cela se trouve à confirmer le caractère de son régime.

Le 18 Brumaire de Donald Trump est donc consacré.

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