Les coopératives d’habitation, une forme d’habitation méconnue du marché locatif

La coopérative d’habitation offre encore un logement pour sa valeur d’usage et non pas pour sa valeur marchande, précise l’autrice.
Photo: Adrien Le Toux Getty Images La coopérative d’habitation offre encore un logement pour sa valeur d’usage et non pas pour sa valeur marchande, précise l’autrice.

À la suite du dossier présenté dans Le Devoir sur le mode de sélection des membres dans les coopératives d’habitation au Québec et de la décision du gouvernement Legault de mettre sur pied un comité consultatif en vue d’améliorer leur gestion, il me semble impérieux de faire une mise au point. Étant membre fondatrice d’une coopérative mise sur pied en 1982 et l’habitant encore après 40 ans, j’ai vu quelques membres passer sous les ponts de notre projet.

Tout d’abord, clarifions la définition légale d’une coopérative d’habitation : ce n’est pas du logement social et communautaire, comme on se plaît à la présenter à travers le prisme économique du logement privé qui domine le marché au Québec et qui se définirait essentiellement par un logement pas cher et dit abordable. La Loi sur les coopératives pose comme principe premier la participation économique des membres, peu importe leur revenu, et la coopération afin de fournir des logements à des locataires prêts à donner de leur temps et de leur savoir-faire sans en tirer profit pour habiter à meilleur coût.

Cependant, il faut rappeler que ces locataires auront eu beau habiter pendant des années dans un projet coopératif en contribuant à l’amélioration du parc locatif non marchand, sans aucune forme de capitalisation, lorsqu’ils partiront, ils n’auront tiré aucun capital financier personnel de cette expérience, sauf celui d’avoir participé à un projet collectif. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle cette forme d’habitat, dont les valeurs vont à l’encontre de la marchandisation et de l’ubérisation du logement, reste si marginale.

La Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL) dans un rapport de 2021 établissait la part du logement coopératif au Québec à 0,04 % du logement locatif. Cela représentait 1362 coopératives, 2700 bâtiments pour 30 000 logements ! Et le gouvernement Legault s’empresse de mettre su pied un comité pour se pencher sur l’énorme préjudice dont seraient victimes des locataires n’ayant pas accès au logement coopératif, prétendument parce que quelques membres de coopératives useraient de leur pouvoir pour sélectionner des membres sur la base des connaissances (amis, parents). Cela priverait donc des locataires à revenu modeste de se prévaloir de logement abordable en favorisant par la bande des gens plus fortunés.

D’un point de vue coopératif, la sélection des membres est une prérogative de la coopérative, et l’intérêt et le partage de valeurs devenues marginales devraient prédominer sur le statut économique du locataire. En cela, elle se distingue des logements sociaux comme les HLM et les OBNL, qui sont administrés par le gouvernement du Québec. J’en donne pour preuve que, dans ma propre coopérative d’Hochelaga-Maisonneuve, deux membres ont été récemment sélectionnés à partir de la liste constituée par la Fédération des coopératives d’habitation intermunicipale du Montréal métropolitain et font commerce de leur propre logement.

Il s’agit d’un changement de destinations des lieux, un stratagème bien connu du Tribunal administratif du logement (TAL). Après avoir été sélectionnés selon les règles de l’art, ces membres s’empressent de sous-louer leur logement à profit, subrepticement, car plusieurs coopératives n’ont pas prévu de règlement à leur régie interne ou bien ferment tout simplement les yeux. Cela va à l’encontre du principe juridique qui fonde les coopératives d’habitation et l’entité morale qui la caractérise, à savoir que les logements demeurent inappropriables par les membres.

Dans ce même état d’esprit économique, le gouvernement Legault favorise sans contredit une marchandisation du logement en faisant en sorte qu’une partie des propriétaires sur le marché privé convertisse les loyers en perception d’une rente très profitable sans aucun bénéfice pour la population locative, au contraire cela participe à leur éviction et à l’itinérance, du jamais vu au Québec.

Ce biais idéologique et réducteur qui consiste à accorder autant d’importance au processus de sélection des membres est un faux problème, alors que les coopératives détiennent un pouvoir quasi judiciaire en pouvant évincer d’office un locataire qu’on ne désire plus comme membre ! Dans ce branle-bas de combat, il s’agit non pas de mettre au pas les coopératives fautives, mais de pointer les failles d’une forme d’habitation méconnue, car elle reste une pionnière, résistant encore à l’appropriation privative du logement et à sa surenchère sur le marché locatif au Québec.

Qu’on le veuille ou non, la coopérative d’habitation offre encore un logement pour sa valeur d’usage et non pas pour sa valeur marchande, une valeur menacée et de plus en plus méconnue des Québécois et Québécoises. N’est-ce pas plutôt cette valeur que vise le gouvernement Legault, sous la couverture de ses bonnes intentions envers les ménages modestes, dont il ne s’est pas beaucoup soucié jusqu’à maintenant ?

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