Le commerce intelligent en réponse au néomercantilisme du président Trump

Le président Donald Trump a jeté un brouillard d’incertitude sur l’ensemble de la planète en annonçant une rupture commerciale provoquée par l’imposition de tarifs douaniers de plus de 25 % sur les importations venant du Canada et du Mexique et de 10 % sur celles venant de Chine. La guerre commerciale est déclarée, et ce, même si les mesures nous frappant ont été suspendues pour 30 jours. Nous devons nous préparer à une renégociation des arrangements commerciaux avec les États-Unis.
Lors de ces négociations, le président Trump voudra réduire la triple dépendance directe et indirecte des États-Unis envers la Chine, car c’est envers elle que son déficit commercial est le plus élevé avec, en plus, une dépendance croissante en nombre de produits achetés. Un certain nombre de ces produits sont de secteurs stratégiques, comme la santé, l’électronique, les batteries et la défense. Cette dépendance envers la Chine est également importante dans les pays européens. Par leurs liens commerciaux avec l’Union européenne, les États-Unis ont donc également une dépendance indirecte envers la Chine.
Éliminer les liens commerciaux avec la Chine étant irréalisable, les autorités américaines visent désormais à réduire le rôle que joue la Chine dans leurs chaînes d’approvisionnement.
Cette préoccupation américaine sera au cœur des négociations à venir : les Américains chercheront à réduire le pourcentage d’intrants dans leurs produits provenant directement ou indirectement de Chine. Si, par exemple, certains de nos matériaux critiques et stratégiques sont des intrants pour leurs circuits électroniques, il faudra prouver que ceux-ci sont bien canadiens et, surtout, non chinois. Or, dans un monde où les chaînes d’approvisionnement sont globales, le calcul du pourcentage de la provenance des produits exige des données complètes sur la traçabilité des produits en amont comme en aval de la production. Nos négociateurs devront donc être armés de bases de données transparentes et fiables sur la traçabilité des chaînes d’approvisionnement.
La négociation sur l’aluminium en provenance du Canada lors du premier mandat de Trump est une belle illustration du recours indispensable à la traçabilité. On se rappellera que la mesure d’exception imposée en invoquant la « sécurité nationale » visait à l’époque à rendre moins compétitives les importations d’aluminium canadien afin de relancer la capacité de production primaire américaine réduite de 70 % au fil des ans.
Le différend sur l’aluminium s’est conclu par un accord en 2019 dans lequel le Canada s’engageait à mettre en place des mécanismes de contrôle des importations dans le but d’éviter des situations de transbordements ou de crêtes indues des exportations vers les États-Unis. Le Canada a rempli dans des délais rapides ses engagements en implantant un système de traçabilité de son industrie. L’industrie de l’aluminium canadien a ainsi évité de devenir la passoire du continent pour la Chine, ce qui a convaincu les États-Unis d’enlever leur tarif.
C’est pourquoi, pour nous préparer à la négociation à venir, nous devons dès maintenant nous doter d’une infrastructure technologique pancanadienne de l’ensemble des transactions sur le territoire en numérisant la collecte de la TPS et de la TVQ perçues et payées par l’ensemble des entreprises, comme le préconise l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). En plus de retracer l’origine des produits, cette numérisation fournirait les données nécessaires pour mesurer l’importance relative des intrants locaux et des intrants importés à chaque étape des processus de production et de distribution des produits canadiens et québécois.
Mais comment numériser l’activité économique de manière à capter cette immense quantité de données, à les partager de façon standardisée et sécuritaire entre des parties prenantes consentantes, tout en respectant le caractère confidentiel et stratégique des données personnelles et/ou d’entreprises parfois en compétition ? C’est ici que les technologies de registres distribués décentralisés (blockchain ou chaîne de blocs en français), couplées à l’intelligence artificielle (IA), interviennent.
Pour mieux mesurer les bénéfices de cette technologie dans le contexte de la perception de la TPS et de la TVQ, il est utile de rappeler que cette perception nécessite au moins six étapes : (1) une facture incluant les taxes est fournie par le vendeur ; (2) le client paie la facture qui comprend les taxes ; (3) l’information concernant cette transaction est enregistrée dans les systèmes du vendeur ; (4) le vendeur paie de son côté les factures de ses fournisseurs (y compris les taxes) ; (5) le vendeur fait un rapport mensuel aux autorités fiscales et (6) paie ou reçoit le montant net des taxes perçues moins les taxes payées.
Ces six étapes se répètent chaque fois qu’une transaction survient, à tous les niveaux intermédiaires de la production et de la distribution d’un bien et d’un service. Dans un régime utilisant la technologie des registres distribués, le client paie sa facture, taxes comprises, le montant de ces taxes est payé directement aux autorités fiscales et, simultanément, le compte du vendeur est crédité des taxes qu’il a payées à ses fournisseurs ; il en est de même pour tous les fournisseurs de ce détaillant ou de ce producteur. Tout se réalise simultanément et est exécuté par des contrats intelligents, sans risque de fraude. Par construction, puisqu’il s’agit d’une taxe sur la valeur ajoutée, toutes les informations pertinentes aux transactions sont enregistrées, y compris celles concernant la provenance des intrants de chaque produit et service.
Cette numérisation fournirait aux gouvernements et aux entreprises privées et publiques une infrastructure numérique commune facilitant les échanges en ligne et l’utilisation de l’IA. Elle accélérerait la transition numérique de nos économies tout en contribuant à relever nos défis de productivité.
Le Canada et le Québec assumeraient le leadership de la transition du libre-échange vers le commerce intelligent qui permettra aux États-Unis comme à d’autres pays de continuer à échanger avec nous tout en réduisant ce qu’ils considèrent comme des risques de dépendance. L’expertise québécoise et canadienne pourrait par la suite être exportée.
Le commerce intelligent est la réponse au néomercantilisme des siècles passés que le président Trump veut imposer et nous offre une occasion unique de rendre notre économie plus compétitive et diversifiée.
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