Comment se porte la confiance dans la science et les scientifiques?

Dans le contexte de l’après-pandémie, de la polarisation de nos sociétés et du phénomène de la désinformation, ici comme ailleurs, on se demande si la confiance dans la science est compromise et si celle-ci perd en crédibilité aux yeux des gens ordinaires. Comme scientifique en chef, il m’apparaît important de prendre le pouls de la population québécoise dans la confiance qu’elle a dans la science ou les scientifiques, et de voir comment cette confiance s’exprime ailleurs dans le monde.
Par exemple, les plus récentes données (2024) du baromètre des professions de la firme Léger montrent que la profession de scientifique, en inspirant confiance à 88 % des personnes répondantes du Québec, se situe 12e des 50 professions de la liste. Le Global Trustworthiness Index 2024 d’Ipsos, qui regroupe 32 pays, dont le Canada, indique que la profession de scientifique se classe au deuxième rang des 21 professions ciblées, et ce, depuis 2018. Dans les deux sondages, si la profession de médecin devance celle de scientifique, les professions de policier, de militaire, de juge et d’avocat se situent assez loin derrière, alors que celles liées au milieu politique se retrouvent davantage en fin de liste.
Aux États-Unis, le Pew Research Center mène régulièrement des sondages auprès de la population pour connaître l’évolution de son rapport avec la science. Si 87 % des sondés avaient confiance dans les scientifiques en avril 2020, ils étaient 73 % en octobre 2023, et 76 % en octobre dernier. Une glissade suivie d’une légère hausse qui survient sur fond de campagne électorale. Ce ressac s’observe surtout chez les personnes répondantes d’allégeance républicaine, pourtant réputées être moins friandes de science.
On peut également se référer à l’édition 2024 du baromètre d’Eldelman, dont une dimension portait sur la confiance dans les scientifiques. On découvre que 77 % des répondants des 28 pays compris dans l’étude ont confiance dans les scientifiques. Le volet canadien du baromètre enregistre le même taux, alors que le volet québécois affiche un taux de 81 %.
L’intérêt d’un tel exercice n’est pas tant de mesurer l’humeur du moment, mais comment cette confiance évolue dans le temps. À la demande du Fonds de recherche du Québec (FRQ), que je dirige, la firme SOM avait mené deux sondages de quelques questions sur la confiance de la population québécoise dans la science, un premier en janvier 2020, avant la pandémie de COVID-19, et un autre en juillet 2020, après la première vague de la pandémie. À la question « Avez-vous confiance dans les sciences ? », 81 % et 84 % des sondés, respectivement, ont répondu par l’affirmative.
En novembre dernier, soit près de cinq ans après le premier sondage, le FRQ a commandé un nouveau sondage à la firme SOM afin de voir si l’aiguille de la confiance de la population québécoise dans la science avait bougé. Or, l’état d’esprit semble au beau fixe : 81 % des sondés affirment avoir confiance dans les sciences. On peut se demander si le modeste bond du taux de juillet 2020 n’était pas dû à l’espoir que l’on avait dans un futur vaccin ! Quoi qu’il en soit, la science semble se porter plutôt bien dans le cœur de la population québécoise, mais il ne faut rien tenir pour acquis.
Par ailleurs, à la lumière des résultats des trois sondages SOM, on remarque que c’est toujours plus de 90 % des sondés qui pensent que la science peut contribuer à relever les grands défis de société auxquels nous faisons face. C’est aussi plus de neuf personnes interrogées sur dix qui croient que les scientifiques devraient diffuser davantage leurs travaux de recherche auprès du grand public. De tels résultats traduisent l’importance et l’intérêt que la population québécoise accorde à la science.
Depuis que j’occupe le poste de scientifique en chef, je m’affaire à promouvoir l’utilisation de la science dans la prise de décision gouvernementale. Si respectivement 94 % et 93 % des personnes répondantes aux deux premiers sondages SOM affirmaient que les gouvernements devraient « beaucoup plus » ou « un peu plus » tenir compte de la science dans leurs décisions, ils sont 88 % à le penser aujourd’hui.
Si l’on porte une attention au segment des personnes ayant répondu « beaucoup plus », le taux passe de 60 % à 45 % sur cinq ans. On semble donc moins préoccupé par l’idée que les gouvernements devraient avoir recours à la science quand vient le temps de décider. Cela est d’autant plus préoccupant quand on met cette donnée en lien avec les résultats de l’Enquête de l’OCDE sur les déterminants de la confiance dans les institutions de 2024, dans laquelle 41 % seulement des personnes interrogées de 30 pays ont rapporté estimer que les pouvoirs publics utilisent des données probantes dans leurs prises de décision. Au Canada, ce taux s’établit à 49 %.
Ces données nous invitent à nous questionner sur la perception que la population, d’ici et d’ailleurs, a du rapport qu’entretiennent les gouvernements avec la science. Le Réseau francophone international en conseil scientifique, créé en 2022 pour promouvoir la science dans la prise de décision gouvernementale, devient très pertinent dans ce contexte. Ce réseau fait partie du Réseau international en conseil scientifique gouvernemental, que je préside, qui compte plus de 6000 membres dans 130 pays et dont le but est d’améliorer le conseil scientifique aux gouvernements d’ordre national, régional et de proximité.
Bref, si la science et les scientifiques nous inspirent confiance, ne ménageons pas nos efforts visant à accroître la littératie scientifique et à combattre la désinformation, et facilitons davantage l’accès aux contenus scientifiques du plus grand nombre de nos concitoyens et concitoyennes.
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