Ce qu’aurait fait Pierre Elliott Trudeau pour contrer les mesures tarifaires de Donald Trump

Pierre Elliott Trudeau, photographié ici en 1974, avait annoncé la fin de la relation spéciale entre le Canada et les États-Unis, rapporte l’auteur.
Photo: Archives Agence France-Presse Pierre Elliott Trudeau, photographié ici en 1974, avait annoncé la fin de la relation spéciale entre le Canada et les États-Unis, rapporte l’auteur.

L’histoire nous en apprend beaucoup sur les litiges commerciaux entre le Canada et les États-Unis. Le commerce entre les deux pays n’a pas toujours été dirigé par les principes du libre-échange. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que le gouvernement canadien réagit au protectionnisme américain.

Pour rappel, en 1973, le gouvernement Nixon avait imposé une taxe de 10 % sur l’importation aux États-Unis de produits étrangers. Cette mesure s’inscrivait dans le contexte de la récession économique provoquée par l’embargo pétrolier des pays de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP). La production industrielle mondiale avait chuté de 10 %, et le commerce international de 13 %. L’imposition de ces tarifs aux importations canadiennes mettait en évidence l’impasse d’une forte dépendance de l’économie canadienne par rapport à l’économie américaine.

En réaction, Trudeau père avait annoncé la fin de la relation spéciale entre le Canada et les États-Unis par sa politique de la « troisième voie » promouvant son indépendance économique. Cette politique visait à assurer l’autonomie canadienne par la création de l’Agence de tamisage des investissements étrangers (ATIE), l’adoption d’une Nouvelle politique énergétique (NPE), dont l’objet était de rediriger le pétrole albertain vers l’Ontario et le Québec, et une plus grande diversification de ses marchés, notamment vers l’Asie.

On s’appropriait ainsi d’une vision beaucoup plus large qu’actuellement de notre relation commerciale avec les États-Unis, en considérant tous ses aspects, dont l’investissement direct étranger, la propriété étrangère, l’autonomie énergétique et la diversification des marchés. La troisième voie était plutôt défensive et visait à assurer le contrôle de nos entreprises en leur offrant comme compensation de nouvelles possibilités sans les pénaliser en les taxant davantage ou en limitant leurs exportations.

Il reste bien peu de chose des politiques de Trudeau

Les politiques de Trudeau n’ont pas toutes résisté à l’épreuve du temps. Il reste bien peu de chose de ces bonnes intentions. Depuis ce temps, l’économie canadienne a accru sa dépendance vis-à-vis de l’économie américaine, de sorte qu’on pourrait même prendre le Canada pour un 51e État américain.

Par exemple, l’Agence de tamisage sur les investissements étrangers de l’époque, qui limitait la propriété étrangère à 50 %, a été remplacée par une loi molasse qui permet d’analyser au cas par cas certains investissements stratégiques. On ne sait plus vraiment selon quels critères. La Société Petro-Canada, créée en vertu de la NPE, a été vendue à des intérêts privés et les projets de pipeline qui auraient transporté le pétrole de l’Alberta vers l’Ontario et le Québec ont été abandonnés. François Legault lui-même a déjà traité d’énergie sale le pétrole venant de l’Alberta.

Les entreprises américaines, pour leur part, ont accru leur présence au Canada. Pour en citer quelques-unes, pensons aux Walmart, McDonald’s, GM, Boeing, Costco, Home Depot, Microsoft, Google, Amazon, Apple, Best Buy, Starbucks, Burger King, Subway, ExxonMobil, Ford, Tesla, Pfizer, Johnson & Johnson, Disney, Warner Bros., qui ont modelé le tissu industriel canadien à leur main en éliminant des milliers de nos PME en s’appropriant d’une bonne partie de notre marché domestique et de l’espace médiatique : par leurs pubs, par leurs bannières, par les médias sociaux, etc.

Mentionnons aussi que plusieurs de nos entreprises à succès ont aussi été rachetées par des entreprises américaines. Qu’on pense aux cas récents de Rona (maintenant Lowe’s), de Héroux-Devtel (achetée par Platinum Equity Advisors), de Surplec (achetée par Integrated Power Services), de Logistec (acquise par la firme new-yorkaise Blue Wolf Capital Partners) et plusieurs autres.

Ces acquisitions ont fait l’objet de transactions de plusieurs milliards de dollars.

On voit ici se dessiner une tendance bien réelle qui nous amène à nous demander pourquoi les États-Unis, dont nous avons accueilli si ouvertement les entreprises, devraient imposer des tarifs douaniers de 25 % sur nos produits. D’autant que, dans bien des cas, ce sont des entreprises de propriété américaine qui exportent depuis le Canada.

Peut-on s’inspirer du passé ?

Sans faire l’éloge de l’ère Trudeau père, il m’apparaît encore pertinent, en réponse à l’imposition des tarifs douaniers de Donald Trump, d’adopter une approche protectionniste visant à assurer l’indépendance économique du Canada. Le contexte actuel s’y prête, et nous pourrions nous inspirer des idées de l’époque. À cet égard, je suggère ce qui suit :

  • Qu’on remette sur pied l’Agence de tamisage des investissements étrangers, et qu’on impose une limite de 50 % sur la propriété étrangère (notamment américaine) au Canada. Cette limite permettrait d’ouvrir des occasions d’investissements aux investisseurs ou acquéreurs canadiens en rachetant les parts d’entreprises détenues par les Américains ;
  • Qu’on adopte une loi interdisant les bannières étrangères, même si les entreprises sont des concessions américaines ou de propriété minoritaire américaine. À l’instar de ce qui se fait déjà au Québec sur l’affichage, cela permettrait d’envoyer un message clair sur le fait que nous ne sommes pas des Américains. D’autre part, cette loi pourrait avoir un effet d’émulation auprès d’autres pays ;
  • Qu’on autorise la construction de pipelines de l’Alberta vers l’Est canadien. Cela permettrait d’assurer notre indépendance énergétique et de diversifier les exportations albertaines ;
  • Que des efforts supplémentaires soient faits pour la diversification de nos marchés par la mise à jour de nos ententes avec l’Europe et l’Asie ;
  • Qu’une taxe supplémentaire soit imposée aux médias sociaux américains, qui semblent faire fi de la désinformation et faire partie de la nouvelle oligarchie américaine dont on peut douter de la neutralité ;
  • Que, à l’instar de ce qu’a accompli le Buy America Act aux États-Unis, les conditions d’accès aux marchés publics par les entreprises américaines soient renforcées.

On constate qu’il y a d’autres solutions que de taxer le jus d’orange. L’effet serait d’envoyer un message clair sur le fait que nous ne sommes pas des Américains.

Ce texte fait partie de notre section Opinion, qui favorise une pluralité des voix et des idées en accueillant autant les analyses et commentaires de ses lecteurs que ceux de penseurs et experts d’ici et d’ailleurs. Envie d’y prendre part? Soumettez votre texte à l’adresse opinion@ledevoir.com. Juste envie d’en lire plus? Abonnez-vous à notre Courrier des idées.

À voir en vidéo