Le Canada en situation d’urgence énergétique nationale

Dès le 20 janvier dernier, jour de son intronisation, Donald Trump a déclaré l’état d’urgence énergétique. Le président des États-Unis affirme que le pays a besoin d’un approvisionnement en énergie fiable, diversifié et abordable et s’en prend aux agissements d’« acteurs étrangers hostiles » prenant pour cible l’infrastructure énergétique du pays et sa dépendance à l’égard de l’énergie étrangère.
Venant des États-Unis, cette déclaration a de quoi surprendre. Le pays est déjà le premier producteur mondial de pétrole et de gaz. Il est même devenu un exportateur net de pétrole depuis 2020, une première depuis des décennies.
Son principal partenaire pétrolier et gazier est son voisin du Nord, le Canada, qui jouit d’une réputation de pourvoyeur d’énergie fiable, à prix compétitif. Depuis une décennie, notre pays est en effet un acteur clé de la fiabilité d’approvisionnement des Américains, grâce à son pétrole lourd qui répond aux besoins de nombreuses raffineries américaines.
Malgré cela, des menaces tarifaires pèsent sur les exportations canadiennes.
Dans ce contexte inédit, c’est plutôt le Canada qui devrait se déclarer en situation d’urgence nationale, à la fois pour son propre approvisionnement et pour la sécurité financière que le pays tire de ses revenus d’exportation de pétrole et de gaz.
Des craintes pour notre approvisionnement
Le Québec couvre ses besoins en énergie fossile également entre le Canada et les États-Unis. Du côté canadien, l’oléoduc reliant l’Alberta au Québec passe par le territoire américain avant de bifurquer vers l’Ontario jusqu’au Québec.
Or, en 2020, la gouverneure démocrate Gretchen Whitmer a demandé la fermeture de la portion de l’oléoduc qui traverse le détroit de Mackinac, au Michigan, citant des craintes sur la sécurité de l’installation, et ce, malgré la volonté de l’opérateur Enbridge de construire un nouvel oléoduc plus sécuritaire. Le projet est toujours en attente de permis, prévus ce printemps.
Ottawa s’est fermement rangé aux côtés d’Enbridge au nom de la sécurité énergétique du pays. Mais cette menace de rendre l’oléoduc inexploitable a semé des doutes troublants sur l’attitude américaine, en apparence bien peu soucieuse de la fiabilité d’approvisionnement énergétique du Canada.
Des craintes pour notre sécurité commerciale
Concernant la sécurité financière liée à nos exportations de pétrole et de gaz, la situation actuelle jette une lumière crue sur la dépendance du Canada à l’égard de son voisin du Sud.
Les États-Unis absorbent l’essentiel des exportations canadiennes de pétrole et de gaz, car, depuis une décennie, le Canada peine à mettre en place des infrastructures permettant d’acheminer cette énergie vers des marchés étrangers.
Actuellement, le Canada ne dispose que d’un seul accès maritime pour acheminer son pétrole outre-mer, soit l’oléoduc Trans Mountain, qui transporte le pétrole de l’Alberta jusqu’aux côtes de la Colombie-Britannique.
Il n’existe encore aucun terminal d’exportation pour le gaz canadien. Le projet LNG Canada, qui sera mis en service cette année, sera le premier, tandis que les États-Unis en ont déjà construit huit en moins d’une décennie, devenant ainsi le premier exportateur mondial de gaz naturel liquéfié.
Avec un accès maritime, le Canada, doté de vastes réserves gazières, aurait pu devenir un acteur majeur dans cette industrie et générer des milliards en revenus, tout en établissant des relations économiques et politiques cruciales avec d’autres pays.
Ce n’est pas faute d’avoir voulu. Des projets d’accès maritime ont déjà été proposés. Le projet d’oléoduc Énergie Est, visant à transporter du pétrole de l’Ouest vers les Maritimes via le Québec, a été abandonné en 2017.
Quant au projet Énergie Saguenay, qui prévoit le transport de gaz albertain vers le Québec en vue de son exportation vers l’Europe, il n’a pas obtenu l’aval du Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE) ni des autorités politiques québécoises.
S’adapter à un nouveau contexte
Or, ces projets ont été élaborés dans un monde qui semble désormais révolu : celui d’avant l’invasion de l’Ukraine par la Russie, qui a fragilisé l’approvisionnement gazier de l’Europe, et d’avant le retour à la présidence de Donald Trump, qui rêve de domination énergétique des États-Unis sur le monde.
Dans ce tout nouveau contexte, où les autorités américaines semblent bien peu soucieuses de la qualité de leur relation avec leur voisin du Nord, le Canada doit réévaluer son approche en matière d’exportation énergétique, jusqu’ici centrée sur les États-Unis. Les occasions offertes au Canada en Europe et en Asie, via des voies maritimes, sont des avenues qu’il faut explorer plus sérieusement qu’autrefois.
Certains argueront qu’il s’agit d’une mauvaise idée dans un contexte de changement climatique. La Norvège est une championne du climat. Mais elle affiche en même temps sa ferme intention de rester exportatrice d’énergie fossile jusqu’à ce que la transition soit achevée. Elle ne cède pas à d’autres les importants revenus engrangés par la vente de son pétrole et de son gaz.
La prochaine campagne électorale, qui aura vraisemblablement lieu au printemps, devrait être un moment privilégié pour le lancement d’un dialogue pancanadien sur ce dossier.
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