C’est beau de faire des affaires au Québec, mais avec qui et comment?

«Le premier ministre tient sa chance de faire les choses autrement s’il s’aligne sur un véritable avenir économique dans le véritable intérêt du Québec», dit l’auteur.
Photo: Christinne Muschi La Presse canadienne «Le premier ministre tient sa chance de faire les choses autrement s’il s’aligne sur un véritable avenir économique dans le véritable intérêt du Québec», dit l’auteur.

Ainsi donc, le premier ministre François Legault, dans la foulée d’un « tarifgate » américain, nous a gratifiés d’une déclaration ministérielle pour dire, avec sa plus belle gravité, que le président Trump crée de l’incertitude et qu’il est temps d’entreprendre un grand chantier économique pour le Québec.

Diversification des marchés, abolition des barrières entre les provinces, réduction d’une dépendance qui dure depuis trop longtemps…

Que ressort-il essentiellement de ce discours ? Il faut devenir plus concurrentiel, investir massivement, déréglementer pour produire plus et, parallèlement, réduire les taxes et les impôts.

Legault se plaint du côté libertarien du président américain, qui n’a aucun état d’âme en affaire. Pourtant, en voulant lui faire concurrence, il entre dans la même logique. Il se jette sur les mêmes vieux thèmes et vieilles méthodes en matière de progrès économique, notamment sur le plan fiscal.

Produire plus ? Pour vendre encore plus de matières premières à bon marché ? Et le développement durable des régions, lui ? La transformation sur place des ressources ? La stratégie d’occupation du territoire ? Les infrastructures vers le nord ? Les trains, les ports, les ponts ? Pas un mot là-dessus. « Faut acheter québécois », se contente-t-il de dire.

Pas moins de 71 % de nos exportations vont vers les États-Unis. La production des PME locales ? Non. Les gros acteurs, oui ! Bois d’œuvre, minerais, aérospatial. Là, ça devient intéressant…

Une déclaration ministérielle est un événement rare et solennel. Celle-ci ressemble à un énorme clin d’œil destiné aux multinationales apatrides et tentaculaires, comme dirait l’ancien premier ministre français Raymond Barre.

Nous n’avons pas le même modèle de société que les États-Unis. Si François Legault réduit les taxes et les impôts à la hauteur de ce que font nos voisins tout en maintenant nos filets sociaux et nos choix de société par la seule stimulation économique, il va en falloir, du développement et de la déduction fiscale… pour les compagnies.

Une société distincte soucieuse de l’environnement qui gère et préserve ses ressources de façon durable et responsable ? Regardez bien revenir à « Très Grande Vitesse » les mégaprojets absurdes et irréversibles, comme le pipeline GNL traversant le Saguenay sans le contourner parce que « ça va plus vite ».

François Legault veut moins de bureaucratie ? On aimerait bien qu’il déréglemente un peu pour laisser souffler les Québécois.

Que l’État cesse de mettre un fonctionnaire derrière chaque citoyen, à la fois juge et partie. Comme lorsque la Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ) effectue des suspensions de permis pour une contravention de stationnement oubliée en signant dans son avis : « L’équipe médicale et suivi du comportement ». Pour un peu, on croirait à un diagnostic de santé mentale…

Bureaucratie, profilage, intransigeance, dureté, paperasses et embourbements pour les individus, ça, oui.

Au Québec, on a vu trop longtemps les ressources bradées à des compagnies milliardaires qui ont bénéficié de conditions fiscales, de prêts sans intérêts ou de subventions éhontées pour ensuite déménager leurs pénates (et leurs profits) ailleurs ou faire du chantage pour préserver les emplois. Sans jamais être inquiètées, jugées ou sanctionnées. Tout ça grâce au soutien collectif des impôts des Québécois.

C’est beau de faire des affaires au Québec, mais avec qui ? On prend, on exporte, sans redistribuer équitablement. On saccage le territoire en prime. Ce n’est en rien créateur de richesse, ça, ça nourrit l’Empire !

Cette société à deux vitesses, en faveur de personnes morales multinationales et fortunées que l’on compare à des travailleurs autonomes ou même à des PME, témoigne d’une hypocrisie dans le narratif et d’un profond déséquilibre dans la société.

Cette nouvelle réalité de notre civilisation doit être au cœur du chantier économique annoncé. Donner le champ libre au « développement économique » anarchique, sauvage, sans garanties, encadrement ou sanctions et sans véritable contrepartie locale pour les communautés, c’est courir vers l’échec collectif pour les Québécois.

C’est le serpent qui s’avale la queue. Le retour à la case départ.

Nous sommes tous pour le commerce et la prospérité, mais les entreprises doivent s’engager. Le Québec est un territoire convoité qui, trop longtemps, a eu le sobriquet de « région-ressource ». La pression est omniprésente.

À noter : rien dans le discours de Legault ne touche à ce qui est primordial et non négociable, soit le soutien à nos agriculteurs. Pas de commentaire sur la gestion de l’offre ou notre souveraineté alimentaire.

Tout cela au moment même où le parti de François Legault veut plancher sur une constitution du Québec.

L’acceptabilité sociale, si chère au premier ministre, va s’étioler dans une mise à sac qu’on appelle chantier économique et qui est déjà, dans le propos, très néolibéral.

Dans les périodes de crise où les événements s’enchaînent rapidement, où on répond à chaud, où on est prêts à se lancer dans le plan du premier sauveur qui a l’air de savoir de quoi il parle, le principe de précaution s’impose.

On ne peut servir deux maîtres. Il s’agit de savoir lequel François Legault veut idéologiquement privilégier.

Le premier ministre tient sa chance de faire les choses autrement s’il s’aligne sur un véritable avenir économique dans le véritable intérêt du Québec.

Cela passe, entre autres, par la domestication corporative et, s’il le faut, en lever le voile !

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