Une bouteille à la mer d’un jeune gauchiste naufragé

Depuis que Donald Trump a entrepris d’intimider le Canada à coups de tarifs aux frontières et de menaces d’annexion, les premiers ministres vacillent. Pendant que François Legault et Doug Ford bombent le torse, cherchant à incarner l’image d’hommes forts face à la tempête, Justin Trudeau, à Ottawa, enfile une dernière fois ses gants de boxe. Au fond, on se doute bien qu’ils finiront par revenir à leur posture habituelle faite de concessions et d’aplaventrisme devant Washington. Ils n’ont tous qu’une idée en tête : revenir le plus tôt possible au statu quo libre-échangiste.
Il faut bien se le dire, ce n’est pas seulement Trump qui menace les emplois dans le secteur du bois d’œuvre dans les régions du Québec. C’est aussi l’obsession pour le libre-échange, qui empêche nos gouvernements d’envisager les solutions crédibles et concrètes qui sont à notre portée.
Le départ précipité d’Amazon, qui bafoue le droit de se syndiquer et met à la rue plus de 3000 personnes, donne le ton. Quelques jours après avoir célébré la victoire de Trump à la Maison-Blanche, Jeff Bezos a montré à ses 1,5 million d’employés que toute tentative de relever la tête sera punie, qu’importe les coûts. Sans surprise, les principales victimes de la stratégie tarifaire de Trump seront les travailleurs et les travailleuses.
Sous nos yeux, le néolibéralisme, avec ses effets destructeurs — délocalisations, précarisation du travail, inégalités grandissantes, démantèlement des services publics, destruction de l’environnement —, pave désormais la voie à des solutions autoritaires aux problèmes qu’il a lui-même causés.
Or, ce qui me fait le plus mal, ce qui suscite mon désarroi, c’est le silence de la gauche. Où est-elle, cette gauche qui, autrefois, se levait sans hésiter quand le système écrasait les siens ?
J’ai grandi dans une famille de gauchistes. Pas des révolutionnaires en quête de gloire, juste des gens qui croyaient qu’on pouvait changer le monde. À travers leurs histoires, j’ai entendu parler d’une époque où la gauche ne ratait aucun combat.
Cette gauche qui a marché pour du pain et des roses contre la pauvreté et l’exploitation, qui a assiégé la Haute-Ville de Québec pour bloquer l’avancée liberticide du libre-échange, qui a défié l’impérialisme en s’opposant à la guerre en Irak. Cette gauche qui a fait tomber un gouvernement lors du Printemps érable.
Aujourd’hui, il semblerait que la gauche hésite, qu’elle ne sache pas comment s’y prendre. Les annonces tarifaires de Donald Trump en sont un parfait exemple. Dans les années 1980, nous avons milité contre l’Accord de libre-échange (ALE) ; dans les années 1990, contre l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) ; et au début 2000, nous avons participé à stopper la Zone de libre-échange des Amériques (ZLEA). Alors, pourquoi, aujourd’hui, face à l’échec manifeste du néolibéralisme et au retour agressif du protectionnisme économique, la gauche hésite-t-elle ? Aujourd’hui, faut-il être un dangereux radical pour dire que cette remise en question du libre-échange est une occasion en or de repenser notre économie ?
On pourrait offrir la même analyse sur les crises migratoires. La droite autoritaire ne s’appuie sur aucun fait pour hisser ses murs, seulement sur des stratégies de communication payantes pour elle et dangereuses pour tout le monde. Or, la gauche ne répond que sur le plan de l’éthique, de la reconnaissance et des symboles : il ne faut pas exclure, pas discriminer. D’accord, mais alors que s’annoncent des hausses importantes de migration causées par les changements climatiques, quelles politiques publiques proposons-nous pour les accueillir ? Rien, que des bons sentiments et du respect de l’autre dans le vivre-ensemble. Ce n’est pas suffisant.
Ce dont je rêve, c’est d’un Québec où la question qu’on pose à la radio le matin, ce n’est pas « Combien d’immigrants va-t-on refuser ? », mais plutôt « Combien de gens va-t-on aider ? ». C’est notre humanité qui en dépend, et historiquement, la gauche n’a jamais eu froid aux yeux lorsqu’il s’agissait de la défendre.
Je ne sais pas si je suis le seul à me poser ces questions. Peut-être suis-je trop jeune, trop idéaliste, trop naïf. Je ne veux pas non plus être nostalgique d’une gauche que je n’ai pas connue, mais je refuse de vieillir avec l’impression qu’il est déjà trop tard.
Il ne me reste qu’une seule certitude : l’heure n’est plus à l’ambiguïté ni même à la condamnation, l’heure est à l’organisation et à l’action. Ou, du moins, elle devrait l’être.
Alors voilà, je lance ma bouteille à la mer. Je ne sais pas si quelqu’un la ramassera. Mais si jamais elle échoue sur le rivage, j’espère qu’on prendra le temps d’y lire mon inquiétude, ma colère, mais, surtout, contre vents et marées, mon espoir. Parce que je veux bien croire que la gauche a encore un rôle à jouer, mais si elle refuse d’affronter la situation, peut-être faut-il en conclure qu’elle n’a plus rien à dire…
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