L’amour, c’est grave

«Chose encore plus grave que l’argent et le sexe? L’amour. L’amour est si grave qu’il faut le prononcer le moins souvent possible», écrit l’auteur.
Photo: Ana Tivikova Getty Image «Chose encore plus grave que l’argent et le sexe? L’amour. L’amour est si grave qu’il faut le prononcer le moins souvent possible», écrit l’auteur.

Plus les choses sont graves, moins on doit en parler. Prenez l’argent, par exemple : un sujet assez grave pour qu’il nous soit difficile d’en parler, même en couple. Autre exemple : le sexe. Grave, aussi, et donc également difficile de faire sortir des paroles de notre bouche à ce sujet.

Chose encore plus grave que l’argent et le sexe ? L’amour. L’amour est si grave qu’il faut le prononcer le moins souvent possible.

Ma meilleure amie, ma partenaire de portefeuille, ma partenaire sexuelle, la femme que j’ai épousée, la mère de mes enfants, mon amoureuse et moi, nous ne nous disons presque jamais « je t’aime ».

En fait, on se l’est probablement dit au moins une fois, à nos débuts, et probablement que je le lui ai écrit quelques fois aussi. Puis, les années ont passé et nous sommes rentrés dans les profondeurs de la vie à deux : des années occupées, fatiguées, travaillées, « parentées ».

Durant ces années, quelque part entre la trentaine et la quarantaine, nous ne le sommes plus dit : il y avait encore beaucoup trop à prouver, nous prouver que nous étions encore à la hauteur de nos attentes, prouver que nous étions capables de réussir professionnellement, prouver que nous allions devenir le père et la mère que nous espérions, nous prouver que nous étions le conjoint, la conjointe que nous nous étions promis.

Quand il y a encore tant de choses si importantes à prouver, on ne peut pas commencer à distribuer des « je t’aime » de la même façon désinvolte que l’on dit « bonjour » le matin et « bonne nuit » le soir.

Je ne m’en inquiète pas. Je le vois plutôt comme quelque chose qui se méritera plus tard, beaucoup plus tard, peut-être quand tout sera prouvé, si une telle chose est possible. Alors, elle me le dira peut-être une deuxième et dernière fois et, si elle le prononce, je saurai que je l’aurai mérité, que je n’aurai pas failli, que j’aurai été un bon conjoint, un bon partenaire, un bon papa, un bon amoureux.

Non, on ne doit pas balancer des « je t’aime » à qui mieux mieux, les diluer dans le train-train quotidien, les prononcer jusqu’à les rendre complètement banals, insignifiants. L’amour, c’est trop grave, beaucoup trop grave pour être prononcé tous les jours. L’amour, on peut le dire tout au plus deux ou trois fois : on l’offre au début et, si on est chanceux, si on a été à la hauteur tout le long du parcours, si on a fait honneur ou que l’on n’a pas trop fait déshonneur, on le reçoit une deuxième fois, juste avant de nous quitter, pour mieux nous retrouver là-haut.

Il n’est pas interdit, toutefois, par excès de romantisme, de le glisser une ou deux autres fois entre les deux extrémités, histoire de confirmer que l’on est toujours sur la bonne voie. Lorsqu’on le dit ainsi, avec économie parce que c’est la chose la plus précieuse que nous pouvons partager, il vaut beaucoup plus qu’un bouquet de fleurs ou qu’un cœur en chocolat.

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