L’alcool vend, mais à quel prix?

Dans les derniers jours, plusieurs ont remis en question le modèle étatique de la Société des alcools du Québec (SAQ). Non seulement l’« alcool n’est pas vital », mais le débat est souvent réduit à une visée économique. L’Association pour la santé publique du Québec (ASPQ) tient à y apporter un autre éclairage : il s’agit d’une substance qui a des effets sur la santé et la sécurité publique de la population.
Les enjeux clés liés à l’alcool au Québec se résument-ils à remettre en question un monopole d’État ? L’ASPQ reconnaît que la vitalité de l’économie locale et des villes est un facteur important pour le bien-être des collectivités. Cependant, une société d’État peut jouer un rôle que le privé ne pourra jamais assumer : celui de soutenir la collectivité en réinvestissant les profits tirés des ventes dans les services à la population.
Sans pour autant réprimer la consommation d’alcool, miser sur un encadrement responsable permet de contrôler l’accès aux boissons alcoolisées et réduire les effets négatifs sur la population. Centraliser la vente de certains produits, tels que les boissons sucrées et très alcoolisées, à la SAQ permet de réduire les risques d’intoxication chez les jeunes en limitant leur disponibilité dans des endroits accessibles aux personnes mineures, comme les dépanneurs et les épiceries. Ne pas traiter l’alcool comme une substance pouvant avoir des effets importants sur la santé contribue à minimiser les plus de 200 maladies et blessures qui y sont associées.
Se prononcer sur ce dossier sans considérer l’ensemble des enjeux pour le Québec, au-delà de l’économie et des intérêts lucratifs, est risqué. Un modèle strictement libéralisé où le privé est roi peut être attirant en surface, mais abolir une société d’État aurait pour effet de diminuer les revenus retournés à la population et d’augmenter les dépenses en santé alors que le Québec est déjà dans le rouge.
Les débats récents sur l’encadrement de l’alcool au Québec n’ouvrent-ils pas la porte à revoir nos pratiques ? L’ASPQ travaille avec plusieurs partenaires et personnes citoyennes pour contrer cette banalisation de l’alcool au Québec. En s’attardant uniquement à la vitalité des villes et aux profits économiques, on relègue au second plan les hospitalisations, les décès et les accidents de la route qui sont liés à l’alcool. C’est aussi ça, la banalisation de l’alcool.
Lorsqu’on parle d’alcool, la conversation est souvent centrée sur les intérêts économiques pour le Québec. La SAQ enregistrait un surplus de 1,43 milliard en 2023-2024, retourné tout droit dans les coffres de l’État. Mais comment passer sous silence les coûts sociaux et de santé liés à l’alcool qui s’élevaient à plus de 3,24 milliards en 2020 — un montant largement sous-estimé puisqu’il exclut les hospitalisations, chirurgies d’un jour, visites à l’urgence et services ambulanciers ?
Ces coûts équivalent non seulement à plus de 5 % des dépenses en santé et services sociaux au Québec (qui s’élevaient à près de 60 milliards en 2023-2024), mais engendrent également une pression non négligeable sur un système déjà à bout de souffle. Bien que les profits soient alléchants, notre verre de vin coûte donc en réalité à notre société plus du double qu’il génère en revenus.
Est-ce que l’encadrement de l’alcool au Québec est un modèle parfait ? Non. Beaucoup d’améliorations sont à apporter, comme celles qui sont mises de l’avant par l’ASPQ dans un rapport sur les politiques prometteuses en alcool.
L’ASPQ et ses partenaires travaillent également sur des recommandations pour contrer la banalisation de l’alcool, notamment afin de formuler des propositions en matière d’encadrement. Une des pistes : réinvestir une part importante des profits en prévention, recherche, réduction des méfaits et traitement.
Le Québec a fait des avancées dans l’encadrement des substances en instaurant des mesures pour protéger la santé et la sécurité de la population avec le cannabis. Bien que des critiques continuent de faire surface, nous pourrions appliquer ces apprentissages à l’alcool, qui demeure accessible selon une visée commerciale. Le Québec est désormais l’endroit où il y a la plus faible consommation de cannabis non médical au Canada.
Le Québec serait-il dû pour une consultation de fond et une politique en matière d’alcool ?
Ont cosigné cette lettre : Martin Adam, direction de santé publique CISSS de l’Abitibi-Témiscamingue ; Laurence Caron, service social ; Catherine Gorka, prévention des dépendances et surdoses, direction de santé publique de Chaudière-Appalaches ; Eve Mercier, directrice générale, Association québécoise des centres d’intervention en dépendance ; David Raynaud, gestionnaire principal pour le Québec de défense de l’intérêt public, Société canadienne du cancer ; Sandhia Vadlamudy, directrice générale, Association des intervenants en dépendance du Québec.
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