Pour l’adoption d’une Loi québécoise sur la convergence culturelle

En novembre 2024, le Comité consultatif sur les enjeux constitutionnels du Québec au sein de la fédération canadienne déposait son rapport final, comportant de nombreuses recommandations. Il proposait au gouvernement « d’agir avec audace pour permettre au Québec d’exercer sa pleine liberté constitutionnelle, sans s’imposer de limites quant à son autonomie ». Au sommet des propositions du Comité : doter le Québec de sa propre constitution ; instituer un Conseil constitutionnel de l’Assemblée nationale, réformer la Charte québécoise des droits et libertés de la personne (Charte québécoise), en prenant en outre ses distances de la Charte canadienne des droits et libertés (Charte canadienne).
L’idée est claire : non seulement dans la technique et le texte de nos lois, mais aussi dans tout le domaine de l’esprit (structures, sources, méthodes ; jusqu’à nos conceptions profondes des libertés fondamentales qui diffèrent, la Loi sur la laïcité de l’État étant le plus récent exemple), le Québec n’est pas le Canada — et il est temps de l’affirmer, haut et fort, par voie constitutionnelle, pour recouvrer cette autonomie en la matière qui n’aurait jamais dû cesser d’être nôtre.
Dans cette perspective, et dans la foulée de la recommandation 32 du rapport proposant de « procéder à l’élaboration et à l’adoption d’une loi-cadre sur le modèle québécois d’intégration et de gestion de la diversité », le Québec aurait selon nous un immense avantage à se doter d’une loi québécoise sur la convergence culturelle. Il y aurait ainsi lieu d’opposer ce concept à celui du multiculturalisme canadien — modèle de (non-)intégration de la diversité qui n’a tout simplement jamais été accepté au Québec, ni avant, ni pendant, ni après l’imposition au Québec, sans le consentement de son gouvernement, de son Parlement et de son peuple, de la Charte canadienne et de la Constitution du Canada en 1982.
Il y a d’ailleurs lieu de rappeler que le concept de « convergence culturelle » tire son origine de travaux effectués par Camille Laurin, Fernand Dumont, Guy Rocher et Jacques-Yvan Morin. Dans sa Politique québécoise du développement culturel, le premier gouvernement de René Lévesque mettait en avant ce concept et rappelait qu’il n’était pas « une métaphore commode ni une formule de rhétorique […] », et voulait « indiquer un axe fondamental d’une politique de développement propre au Québec dans sa réalité concrète, soucieuse de diversité comme de cohérence ».
Le rapport ajoutait : « Si le français doit être la langue commune au Québec, comme on semble le reconnaître partout, on doit en admettre les conséquences pour la culture. Non pas, répétons-le patiemment, parce que la culture de tradition française devrait abolir les autres sur notre territoire, mais parce que, comme pour la langue, elle devrait servir de foyer de convergence pour les diverses communautés, qui continueront par ailleurs de manifester ici leur présence et leurs valeurs propres. »
Une telle loi devrait se voir accorder un statut quasi constitutionnel comme la Charte québécoise, la Loi sur la laïcité de l’État et la Charte de la langue française. De plus, elle devrait bénéficier de la protection de la clause de souveraineté parlementaire. Un tel statut lui donnerait ainsi les outils nécessaires pour faire échec à la Loi sur le multiculturalisme canadien et à la jurisprudence canadienne dans l’interprétation des lois adoptées par l’Assemblée nationale du Québec.
Un tel modèle, accompagné du texte du projet de loi, a d’ailleurs été esquissé dans une étude de 2014 de l’Institut de recherche sur le Québec. Le Québec ne s’est jamais reconnu dans l’utopie multiculturelle et « post-nationale » préconisée par le Canada depuis 1982. Alors que le multiculturalisme canadien préconise une dissolution des liens de rattachement communs et de l’identité nationale sur l’autel d’une société fragmentée en individualismes et en communautarismes culturels et religieux célébrant le refus d’intégration au nom du ressenti subjectif, la convergence culturelle propose un modèle distinct de gestion collective du vivre-ensemble social.
Résumée au plus simple, la convergence culturelle propose un modèle d’intégration juridique, linguistique et culturelle, notamment au moyen de politiques publiques, au sein des systèmes de santé et d’éducation, dans le monde du travail, des médias et devant l’appareil judiciaire. Le Québec ne doit pas s’excuser de chercher à valoriser le français au Québec, ni d’affirmer que la religion est un choix et non un état de la personne, ni encore à poser que l’histoire et la culture du Québec ne se sont pas construites en un jour. Et qu’il appartient à ses institutions d’assumer le rôle de pôle rassembleur aux fins de la construction d’une identité dans laquelle tous et toutes peuvent se reconnaître, évoluer et interagir en commun en société.
Le choix de la convergence culturelle comme modèle du vivre-ensemble au Québec est aussi intimement lié au droit collectif du Québec à l’autodétermination tel qu’il est affirmé par le Parlement du Québec dans la Loi sur l’exercice des droits fondamentaux et des prérogatives du peuple québécois et de l’État du Québec, dont l’un des articles stipule que « le peuple québécois a le droit inaliénable de choisir librement le régime politique et le statut juridique du Québec ».
Quoi qu’on dise et quoi qu’on fasse, il est temps que le Québec définisse enfin, dans l’exercice de sa liberté constitutionnelle, un modèle, comme le prône le Comité consultatif, « clairement distinct du multiculturalisme canadien, axé sur le vivre-ensemble et [permettant] d’affirmer le caractère distinct et francophone du Québec, dans le respect du pluralisme de sa société ».
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