Hydro-Québec et les limites de la confiance

« Comme d’habitude, on nous demande de faire confiance à l’expertise d’Hydro-Québec, alors que le passé nous suggère plutôt de nous méfier de ses plans de développement, qui visent davantage à réduire les coûts qu’à tenir compte des milieux de vie des citoyens », écrit l’auteur.
Photo: Olivier Zuida Archives Le Devoir « Comme d’habitude, on nous demande de faire confiance à l’expertise d’Hydro-Québec, alors que le passé nous suggère plutôt de nous méfier de ses plans de développement, qui visent davantage à réduire les coûts qu’à tenir compte des milieux de vie des citoyens », écrit l’auteur.

Comme le montre bien l’urbaniste Gérard Beaudet dans son texte paru dans Le Devoir du 20 décembre, la direction d’Hydro-Québec veut faire croire que les immenses problèmes que pose la décision de construire un poste de 315 kilovolts à proximité de Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ), de l’Université du Québec à Montréal (UQAM) et au cœur du Quartier latin vont disparaître par la magie d’une « signature » architecturale pour cet immense bâtiment cachant des installations électriques exigeant une haute sécurité. On se demande qui peut réellement croire à un tel enfumage.

Comme d’habitude, on nous demande de faire confiance à l’expertise d’Hydro-Québec, alors que le passé nous suggère plutôt de nous méfier de ses plans de développement, qui visent davantage à réduire les coûts qu’à tenir compte des milieux de vie des citoyens. Gérard Beaudet rappelle d’ailleurs avec raison le fiasco de la ligne de transport qui franchissait le Saint-Laurent entre Deschambault et Grondines, en détruisant ainsi le paysage, comme si cela n’avait pas de valeur.

L’étude du passé pouvant contribuer à la réflexion concernant le présent et l’avenir proche, il me paraît utile de rappeler un épisode peu connu de l’arrogance technocratique des planificateurs d’Hydro-Québec — que l’on nous demande de croire sur parole quand ils disent avoir choisi la seule solution rationnelle. En 1975, soit quelques années seulement avant la crise de l’énergie de 1979, générée par la décision de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) de hausser le prix du pétrole de façon spectaculaire, les experts d’Hydro-Québec prévoyaient sans broncher un taux de croissance annuel moyen de la demande de 7,75 % jusqu’en l’an 2000. On était même précis à deux décimales !

À un tel rythme de croissance de la demande, le complexe des barrages de La Grande, une fois terminé au milieu des années 1980, ne suffirait plus à la demande ainsi planifiée, et on nous expliquait qu’il faudrait donc construire un réacteur nucléaire par an entre 1980 et 1985, deux par année entre 1990 et 1995 et trois par an entre 1995 et 2000 ! Une simple addition donne un total de 30 réacteurs nucléaires à installer le long de notre majestueux fleuve Saint-Laurent ! Au total, en l’an 2000, ces réacteurs devaient fournir 30 000 mégawatts d’énergie supplémentaires au réseau, alors que l’hydraulique n’aurait crû pour sa part que de 12 500 MW. On connaît la suite…

TINA est morte

Sans surprise, les porte-parole d’Hydro-Québec — et les ministres du gouvernement Legault qui répètent mécaniquement leurs discours — invoqueront encore TINA (There Is No Alternative : il n’y a pas d’autre choix), comme le faisaient les idéologues néolibéraux au cours des décennies 1980 et 1990. On sait maintenant que TINA est morte et qu’il y a toujours des choix possibles.

D’ailleurs, la véritable ingéniosité des ingénieurs ne consiste pas à dire aux gens de s’adapter sans discussion à leurs choix techniques, le plus souvent fixés sans tenir compte de variables sociales ou culturelles, mais plutôt à imaginer des solutions qui respectent le milieu, même si elles doivent parfois s’avérer plus coûteuses à court terme et plus difficiles à réaliser.

Il est certain que construire une infrastructure de 315 kV sur les terrains de BAnQ et à proximité de l’UQAM n’est nullement la seule solution technique envisageable. Pour que la confiance envers Hydro-Québec perdure, la société d’État doit montrer qu’elle sait adapter ses choix aux revendications de la population et trouver un autre lieu plus approprié pour son appareillage.

En ces temps où le mot « innovation » est sur toutes les lèvres, il revient aux ingénieurs de démontrer qu’ils peuvent innover en tenant compte des contraintes urbanistiques du Quartier latin et surtout de son développement futur.

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