Hydro-Québec condamnée pour «mauvaise foi institutionnelle» dans un litige face aux Innus

Hydro-Québec « a fait preuve de mauvaise foi institutionnelle » dans ses négociations avec des Innus en vue de la construction du complexe de la Romaine. La Cour supérieure a reconnu la culpabilité de la société d’État le 8 janvier dernier. Cette dernière devra verser 5 millions de dollars au conseil de bande lésé.
Une entente de principe conclue en 2014 entre les négociateurs d’Hydro-Québec et ceux des Innus de Uashat-Maliotenam, près de Sept-Îles, devait garantir la paix entre les deux parties. Le document traçait les contours des compensations pour la destruction par ceux-là du territoire ancestral de ceux-ci. Tant s’en faut, cet accord préalable a déclenché une poursuite judiciaire qui a pris fin au début du mois.
Onze ans plus tard, l’entente a été déclarée « nulle et sans effet », a tranché la semaine dernière le juge Thomas Davis dans un jugement de 150 pages.
L’entente de principe conclue à l’époque stipulait qu’Hydro-Québec devrait verser plus de 75 millions de dollars entre 2014 et 2073 aux Innus touchés par la construction des réservoirs. En contrepartie, les Innus s’entendaient pour « ne [faire] aucun geste ayant pour effet de retarder, bloquer ou nuire de quelque façon que ce soit à la réalisation » du complexe de la Romaine. Une entente finale devait être signée une fois que les deux parties avaient dûment consulté leurs mandataires.
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Comme convenu, les responsables du côté innu communiquent rapidement les détails de l’entente aux membres de leur communauté. Des consultations, des assemblées générales et des affiches informent que leur territoire traditionnel sera submergé, mais que leurs droits ancestraux demeureront intacts. L’entente est approuvée « par le vote populaire » en avril 2014. Quelques familles dissidentes portent tout de même une ombre au tableau.
De son côté, Hydro-Québec entrave le cheminement de cette entente. Le document préalable n’est pas soumis au conseil d’administration comme prévu, car la dissidence de quelques familles innues « semble » poser problème. La décision de ne pas soumettre l’entente de principe au CA revient au président-directeur général de l’époque, Thierry Vandal, qui « se fie sur les recommandations » d’un collègue, Richard Cacchione. Or, « la compréhension de ce dernier de l’état du dossier est très limitée », précise le jugement.
« Je pensais que cette entente-là n’[avait] pas été approuvée. […] Je pensais qu’elle avait été refusée par référendum », s’est défendu M. Cacchione lors du procès.
« Position intransigeante »
Hydro-Québec insiste sur ces quelques opposants pour bloquer la conclusion de l’accord. Leur existence occasionnerait un risque financier pour le mégachantier. Les négociateurs de la société d’État proposent même que les familles dissidentes participent aux négociations, « alors qu’elle a toujours reconnu que le conseil de bande était son vis-à-vis », relève le tribunal.
Le conseil de bande refuse catégoriquement. « L’opposition d’environ trois familles ne devrait d’aucune façon faire obstacle à la signature d’une entente finale entre notre communauté et Hydro-Québec », a plaidé le chef dans une lettre officielle à Thierry Vandal. « En effet, aucune de ces familles n’est touchée par des installations prévues dans le cadre du projet de La Romaine. »
« Hydro-Québec voulait l’unanimité », analyse le juge. Cette « position intransigeante » peut constituer « tant de la mauvaise foi que le défaut d’agir honorablement en droit autochtone ».
« Nous pouvons avoir l’impression qu’Hydro-Québec était à la recherche de toutes les raisons possibles pour ne pas conclure l’entente finale, tout en voulant, toutefois, instaurer d’autres projets sur le territoire revendiqué par les Innus de Uashat-Maliotenam. »
En plus de forcer Hydro-Québec à verser plus de 5 millions de dollars au conseil de bande, le tribunal s’attend à ce qu’une nouvelle négociation puisse « réconcilier » les intérêts des deux parties.
« Grande victoire » pour le conseil de bande
Le conseil de bande en question s’est réjoui de cette décision de la justice. « Ce jugement est une grande victoire pour nous », a déclaré par écrit le chef Mike McKenzie. « Il s’agit d’une reconnaissance de la gouvernance de notre peuple, laquelle doit être respectée par les gouvernements provincial et fédéral ainsi que leurs sociétés d’État. Les gouvernements et leurs sociétés d’État ne peuvent agir dans l’impunité. »
Hydro-Québec accepte la décision de la Cour supérieure. « Ce dossier illustre l’importance de la nouvelle approche qu’Hydro-Québec a entreprise dans ses relations avec les communautés autochtones », ajoute-t-on par communiqué, en référence à de nouvelles orientations adoptées en 2024.
Les Innus étaient représentés par les avocats du cabinet O’Reilly et André-Grégoire et Associés et du cabinet de Me Jean-François Bertrand.
Ce reportage bénéficie du soutien de l’Initiative de journalisme local, financée par le gouvernement du Canada.