Des hausses de la valeur foncière qui font mal aux propriétaires

De nombreuses municipalités québécoises ont déposé l’automne dernier leur nouveau rôle d’évaluation, qui a fait bondir la valeur foncière des propriétés. Cette augmentation ne se traduit pas par une hausse de taxes municipales aux proportions similaires, mais, pour plusieurs propriétaires, cette majoration paraît tout de même si disproportionnée qu’ils envisagent de demander une révision.
Alain Cazavant a eu un choc l’automne dernier. La valeur de sa propriété du secteur de la Pointe-du-Lac, à Trois-Rivières, a grimpé de 87 %, ce qui s’est traduit par une hausse de 19 % de son impôt municipal. Il a tenté d’obtenir des explications auprès de la Ville et de la directrice de l’évaluation foncière, mais en vain. « Tout le monde est d’accord pour dire que ma hausse de 87 % est inexplicable, mais personne ne me donne aucun motif, à part la valeur d’achat de ma propriété », dit-il.
M. Cazavant reconnaît que l’évaluation est basée sur les conditions du marché il y a 18 mois, et qu’il a lui-même fait l’acquisition de sa demeure dans un marché immobilier en ébullition, en 2023. Mais la pilule demeure difficile à avaler pour lui : il n’entend pas en rester là et compte demander une révision de son dossier.
À Trois-Rivières, la valeur foncière des propriétés résidentielles a grimpé de 55,5 % en moyenne. Même si la Ville a rajusté à la baisse le taux de taxation afin de limiter l’augmentation de l’impôt foncier à une moyenne de 2,95 %, certains propriétaires ont écopé d’une facture salée. À Sherbrooke, les valeurs foncières du secteur résidentiel ont grimpé de 49,9 %. À Québec, cette hausse a atteint 26,8 %.
Contester ou pas ?
À Longueuil, la hausse des valeurs foncières avoisine les 40 % en vertu du nouveau rôle qui vient d’être déposé. Mais la valeur du condo de Patsie Ranger a plutôt connu une augmentation de 92,4 % avec une hausse de taxes de 19,5 %. Mme Ranger n’arrive pas à comprendre comment la valeur foncière de cet appartement acheté en 2018 a pu grimper à ce point, d’autant qu’il n’a pas fait l’objet de travaux importants, soutient-elle, si ce ne sont quelques modifications mineures, comme le remplacement des armoires. « La céramique dans la cuisine, qui était blanche, est noire maintenant. Mais ce n’est pas ça qui peut faire augmenter l’évaluation », avance-t-elle. Elle ignore si elle contestera l’évaluation ou si elle profitera de l’occasion pour vendre son logement.
Les valeurs foncières reflètent l’état du marché immobilier au 1er juillet 2023. Mais il y a certaines distorsions si des propriétés plus luxueuses ont fait l’objet de transactions dans un secteur donné alors que d’autres résidences n’ont pas les mêmes caractéristiques, reconnaît Pierre Goudreau, président de l’Ordre des évaluateurs agréés du Québec. « Dans la Loi sur la fiscalité municipale, il y a le principe selon lequel l’évaluateur municipal doit maintenir l’inventaire du rôle tous les neuf ans [en réalisant des inspections]. Mais ce n’est pas respecté, surtout dans les grandes villes comme Montréal, parce que ça coûte cher de visiter chaque propriété », note-t-il.
Les propriétaires qui jugent la hausse de valeur injustifiée peuvent demander une révision de leur évaluation, moyennant des frais — qui vont de quelques dizaines de dollars à quelques centaines de dollars, selon la valeur de la propriété — et un dossier étoffé démontrant, par exemple, que leur propriété ne devrait pas être jugée comparable à d’autres résidences du secteur. Ils ont jusqu’au 30 avril pour le faire. Et s’ils n’obtiennent pas satisfaction, ils peuvent ensuite s’adresser au Tribunal administratif du Québec.
Pierre Goudreau estime que, malgré ses défauts, le système actuel d’évaluation foncière basé sur les transactions immobilières est efficace. « C’est une méthode qui est très bonne. Pour avoir été évaluateur municipal au début de ma carrière, dans les années 1980, alors qu’on n’avait pas d’informatique et tous les outils dont disposent aujourd’hui les évaluateurs, je peux dire qu’ils ne se trompent pas beaucoup, soutient-il. Mais est-ce une bonne méthode pour taxer les citoyens et aller chercher des revenus pour les villes ? Ça, c’est un grand débat. »
« Comme David contre Goliath »
En faisant bien leurs devoirs, les propriétaires peuvent réussir à faire baisser la valeur foncière de leur immeuble, souligne Pierre Pagé, du groupe Montréal pour tous. Depuis plus de 10 ans, l’organisme aide des propriétaires montréalais à comprendre les rouages de l’exercice d’évaluation foncière. « Il y a tellement de gens qui ont peur des chiffres, souligne M. Pagé. Il y a tout un travail de démocratisation économique à faire. »
Il recommande d’ailleurs aux citoyens de communiquer avec l’évaluateur mandaté par la Ville pour leur secteur avant d’envisager une contestation. « L’évaluateur est un gars parlable », assure-t-il.
Déposé en septembre 2022, le nouveau rôle de l’agglomération de Montréal avait fait bondir de 35,5 % les valeurs foncières pour le secteur résidentiel. Le Devoir avait d’ailleurs constaté une hausse du nombre de contestations à Montréal, avec 6065 demandes de révision contre 3028 lors du rôle précédent.
Alain Cazavant estime tout de même qu’il devrait y avoir un mécanisme simple permettant aux citoyens de contester une évaluation foncière lorsque survient une augmentation majeure — de plus de 70 % de la valeur et de plus de 10 % de l’avis d’imposition, par exemple. « Le Service de l’évaluation, c’est une grosse machine à calculer. Ils ont les outils, ils ont tout, et nous, les citoyens, on est comme David contre Goliath. Il faut qu’on argumente et qu’on lise sur les différentes lois applicables. On ne me donne pas les explications que je veux. »