«Hamlet, Prince du Danemark», corps de tragédie

Le danseur étoile Guillaume Côté dans le spectacle «Hamlet, Prince du Danemark»
Photo: Stéphane Bourgeois Le danseur étoile Guillaume Côté dans le spectacle «Hamlet, Prince du Danemark»

Après une collaboration en 2018 pour la pièce Frame by Frame, le danseur étoile et chorégraphe Guillaume Côté et le metteur en scène Robert Lepage retrouvent la scène ensemble en revisitant Hamlet, œuvre incontournable de Shakespeare. Fidèle à cette histoire tragique, cette pièce relève cependant un défi original : l’incarner uniquement par la danse. Malgré quelques bémols, c’est un pari réussi.

Le rideau s’ouvre. Mobilier royal doré et rouge, grands chandeliers au plafond. La pièce commence par un joyeux banquet, qui nous permet de rencontrer les personnages sans les identifier tout à fait au départ, et d’être plongés dans la danse dès les premières minutes. Bien que l’influence du ballet se fasse sentir, on y découvre des pas saccadés, de l’ondulation, des angles aigus dans les corps, quelques spasmes et micro-mouvements. Par la suite, on s’attarde sur le personnage principal, Hamlet, interprété par Guillaume Côté lui-même. Le danseur étoile — qui rangera d’ailleurs ses chaussons lors de la dernière représentation de cette pièce — déploie alors quelques grands jetés, des battements et d’autres mouvements qui font partie du vocabulaire du ballet, toujours avec de la finesse et une grande maîtrise. S’enchaînera alors la présentation des personnages, qui permettra de bien comprendre le déroulement de l’histoire et de découvrir la signature corporelle de chaque interprète. Leurs costumes, dignes d’une pièce de théâtre, sont aussi très élaborés et apportent volumes et nuances à la pièce.

Photo: Stéphane Bourgeois Une image du spectacle «Hamlet, Prince du Danemark»

Ainsi, pendant 1 h 40, le duo Ex Machina et Côté Danse nous plonge de façon juste et élaborée dans la tragédie shakespearienne. Du dévoilement de l’empoisonnement du roi au duel mortel final entre Hamlet et son ami, en passant par la noyade de sa bien-aimée et le destin fatal de l’amant de la reine, tout y est. On traverse les scènes en s’attachant aux personnages, à l’histoire, et bien qu’aucune parole ne soit prononcée, on ressent tout le poids de la moralité, du destin, du doute, de la vengeance et de toute la fatalité de cette œuvre mythique.

La musique, digne d’une bande originale de film, est très prégnante. Elle nous fait voyager dans les événements et les lieux, et nous donne surtout le ton et l’émotion que chaque partie de l’œuvre suscite, tel un pilier pour le sens. Les mouvements, eux aussi omniprésents de toute évidence, sont aussi imaginés pour bâtir du sens. Ainsi, Hamlet, Prince du Danemark nous offre l’amour à travers une chorégraphie légère, remplie de portés romantiques, mais aussi la colère dans un duel à l’épée plein de grâce. Le néoclassique est très présent dans les solos et duos, et la danse contemporaine prend davantage de place dans les moments de groupe. La scène de l’enterrement d’Ophélie démontre d’ailleurs toute la puissance d’exécution de l’interprète Carleen Zouboules, où la fluidité et le lâcher-prise sont maîtres. Malgré quelques mimiques ou mouvements pour la compréhension quelque peu exagérés, grossis, il est très intéressant de constater de la recherche théâtrale dans le corps. Celui-ci ne dit mot, mais s’exprime tout autant. Pour couronner le tout, les neuf interprètes brillent dans leur rôle respectif. On arrive à déceler leur couleur unique et leur force personnelle. Excellents danseurs, ils parviennent aussi à rentrer dans le jeu théâtral que propose cette œuvre, tout en restant dans la sobriété, sans surjouer, mais bien en incarnant les dires par le corps.

Photo: Stéphane Bourgeois Une image du spectacle «Hamlet, Prince du Danemark»

Des bijoux scénographiques

En plus d’une narration dansée impeccable et d’interprètes de talents, Robert Lepage propose, comme à son habitude, plusieurs éléments scéniques captivants. Dès le début, pour l’annonce de l’empoisonnement du roi, un fantôme apparaît grâce à une combinaison bien pensée de drap et de lumière. Cette dernière permet, selon la distance des interprètes, d’agrandir ou de rapetisser les corps, d’en créer des ombres poétiques ou effrayantes.

Le rideau tient une place particulière dans la pièce. Utilisé à plusieurs reprises pour permettre un changement de décor discret, il se transforme aussi en décor flottant, en vent passager, ou encore en mur plus ou moins ouvert pour que des personnages en observent d’autres. Un autre rideau, bleu cette fois-ci, servira aussi de vague géante et enivrante pour illustrer la douleur, la confusion et finalement la perte d’Ophélie, l’être aimé de Hamlet. Un moment hors du temps, à la fois magique et tragique. L’usage de masque permet aussi une magnifique mise en abyme lors d’une pièce de théâtre, dans la pièce de théâtre ! Des miroirs prennent aussi l’espace le temps d’un instant et offrent des effets d’optiques fascinants, une profondeur assez unique dans la pièce et un moment de danse envoûtant. Enfin, les combats, ou les parties où les épées sont présentes, s’avèrent réussis. Loin d’être ridicules, ils ne prétendent pas ressembler à une scène de film ni mimer la réalité. Mais ils sont bel et bien une chorégraphie, eux aussi, avec pour élément central du mouvement, l’épée. Celle-ci devient alors une partenaire de danse comme une autre et amène complexité et variété dans la gestuelle.

Avec leur version de Hamlet, Guillaume Côté et Robert Lepage confirment qu’ils forment un duo qui fonctionne. Une recherche théâtrale du mouvement sans l’exagérer d’un côté. Une scénographie léchée et originale de l’autre. Malgré quelques mimiques caricaturales et quelques scènes moins utiles, parfois un peu longues, le tout fonctionne très bien et propose une œuvre très agréable à regarder et à vivre.

Hamlet, Prince du Danemark

Guillaume Côté et Robert Lepage. Jusqu’au 22 février au théâtre Maisonneuve.

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