Les Grands Ballets rêvés de Ludmilla Chiriaeff

Avec Ludmilla, les Grands Ballets canadiens de Montréal (GBC) célèbrent enfin le 100e anniversaire de leur fondatrice, Ludmilla Chiriaeff (1924-1996), dite Madame. On ne verra pas ses pièces, lors de cette soirée hommage, mais des oeuvres de George Balanchine, de Ginette Laurin, de James Kudelka et de Jean Grand-Maître. Un programme dansé par une compagnie « plus canadienne qu’elle ne l’a été depuis longtemps », comme l’affirme fièrement le directeur général, Marc Lalonde. Une compagnie qui revient ainsi aux rêves de Madame : faire germer ici de la danse et des danseurs.
Le Devoir révélait en 2010 qu’il y avait une plus forte proportion de Québécois chez le Canadien de Montréal, avec 3 joueurs sur 23, qu’aux Grands Ballets canadiens de Montréal (GBC), qui en accueillaient alors 2 sur 36. Des chiffres qui auraient désolé la fondatrice des GBC, comme le disait alors Nicolle Forget, biographe de Madame.
Aujourd’hui, 14 ans plus tard ? Le portrait est fort différent : 32 artistes, soit 71 % des danseurs, ont la citoyenneté canadienne ou la résidence permanente, selon les calculs d’Olivier Le Galliard, directeur des communications aux GBC.
Et 21 de ces artistes-là détenaient leur citoyenneté déjà lors de leur embauche aux Grands Ballets. Un détail à observer dans le monde de la danse, où le nomadisme est fort, et où il arrive fréquemment qu’on adopte une compagnie avant un pays — ou plutôt que celui-ci.
« Les GBC ont maintenant une majorité de danseurs canadiens », se réjouit Marc Lalonde, qui trouve ce compte important.
« On a réussi à mettre en place une collaboration réelle entre l’École supérieure de ballet du Québec et la compagnie ; un protocole, des mécanismes qui font que là, ça dure, et que ça va perdurer au-delà des directions, selon moi. Montréal n’est pas une assez grande ville pour se permettre un manque de liens avec l’École », analyse-t-il.
Car les plus importantes oeuvres de Madame sont, outre, la fondation des GBC, celle de l’École supérieure de ballet en 1966, et de programmes de danse un peu partout dans la province. Des institutions qu’elle voulait comme des tuteurs pour assurer et solidifier la pousse de la danse professionnelle d’ici.
La compagnie a aussi littéralement grossi depuis 2011, passant à 45 danseurs. Elle offre ainsi plus de ces postes, très rares, de salariés de la danse.

« Maintenant, on assume le répertoire classique », avec le répertoire romantique aussi, qui était délégué aux compagnies étrangères il y a peu encore. Tenir ce répertoire « à la maison » plutôt que d’inviter des compagnies étrangères pour le faire oblige « à augmenter le nombre de danseurs, pour avoir un corps de ballet conséquent ».
Ludmilla Chiriaeff avait fondé des établissements pour que les talents, d’où qu’ils viennent au Québec, en passant par l’École supérieure de danse et l’école Pierre-Laporte, à l’époque de son programme danse-étude, puissent nourrir les Grands Ballets et avoir accès aux compagnies de calibre international.
Après un oubli de ces liens pendant quelque temps, on compte aux GBC aujourd’hui 21 artistes qui ont reçu l’essentiel de leur formation professionnelle au Canada. C’est 47 % des danseurs. Ils n’étaient que 18 % dans ce cas en 2016-2017. Et 14 danseurs viennent de l’École supérieure de ballet du Québec — 31 % des effectifs, contre 9 % en 2016-2017.
Et du côté de la direction ? « Parmi les neuf personnes qui forment l’équipe de direction des Grands Ballets canadiens, bien que d’origines diverses, huit sont des citoyens ou résidents canadiens de longue date », confirme Marc Lalonde.
À lire aussi
Pour Ludmilla
« On a choisi de ne pas retravailler le répertoire de madame Chiriaeff » pour la soirée qui lui rend hommage, confie le directeur. Madame a pourtant laissé des centaines de chorégraphies, dont plusieurs pensées pour la télé, ou même pour le très grand public.
« On aurait pu en reprendre sous un angle historique, poursuit M. Lalonde. Mais on a fait le choix de ne pas creuser le répertoire de Madame, qui aurait voulu, je crois, encourager et faire naître une création contemporaine. »
C’est donc un programme mixte que proposent les GBC. La pièce que Jean Grand-Maître a signée pour l’École supérieure, Continuum, dansée une première fois au tout début de l’année, lors des célébrations de l’École à sa fondatrice, est le coeur de l’hommage.
On a fait le choix de ne pas creuser le répertoire de Madame, qui aurait voulu, je crois, encourager et faire naître une création contemporaine
D’abord parce qu’elle convoque aussi 20 étudiants de l’École, qui danseront là avec les pros des Grands, pour le public des Grands — un mélange de générations, d’aspirants et de vétérans des piqués et des pointes qui, on peut le croire, aurait touché Madame.
Aussi parce que M. Grand-Maître a posé son regard sur la vie d’exilée de Madame, sur l’odyssée qu’elle a vécue, « cette femme qui arrive dans une nouvelle terre, un nouveau pays, pour enseigner la danse », comme il le résumait au Devoir à la fin de la création, au début de l’année.
Viennent compléter ce programme Les quatre tempéraments (1946), de George Balanchine, car le chorégraphe fait partie des grandes influences de Madame, ainsi que Le funambule (1998), de Ginette Laurin, pièce témoin d’une époque où les chorégraphes contemporains montréalais très actuels étaient invités aux Grands (alors sous la direction de Lawrence Rhodes), et Désir (1991) de James Kudelka.