Le grand méchant jeu

La tour de l’horloge du Parlement, à Québec
Photo: iStockphoto La tour de l’horloge du Parlement, à Québec

On dit qu’on peut souhaiter bonne année jusqu’à la fin du mois, et j’imagine que la règle vaut aussi pour les histoires. Alors, voici mon conte du jour de l’An. Il s’intitule Le grand méchant jeu.

Le 31 octobre 2045, dans leur élégant stade ceinturé de loges d’entreprises au centre-ville de Montréal, les Expos fêtèrent le dixième anniversaire de leur renaissance en remportant la première Série mondiale de leur histoire. Au cours de ces 10 années, le paysage sportif de la métropole du Québec avait radicalement changé. La division Nord de la Conférence américaine de la National Football League (NFL) ayant été rebaptisée « division du Centre », une nouvelle division du Nord regroupait les Killers Whales de Vancouver, les Drillers de Calgary, les Kings de Toronto et le Barrage de Montréal, pour faire pendant à la division Internationale venue se greffer à l’autre conférence à la faveur de la même giga-expansion. La NFL couvrait désormais un territoire allant de Brasília à Francfort, et la Ligue canadienne de football (LCF), plus que jamais, ressemblait à une honnête ligue de garage.

L’une des deux nouvelles concessions de la puissante NBA avait ensuite été octroyée au Québec. Les Rapides de Montréal, dont le nom se voulait un hommage à nos ancêtres voyageurs et au portage de Lachine, à défaut de conquérir un championnat, n’avaient pas tardé à devenir les meilleurs ennemis des Raptors de Toronto.

Un déblocage aussi majeur en l’espace de quelques années appelle une explication. Le fait que toutes les transactions, de l’achat des billets au versement des salaires, s’effectuassent désormais en devises américaines n’avait sans doute pas nui.

Pour comprendre la nouvelle dynamique, il faut remonter à 2025 et au Grand Jeu du Parti québécois et de son chef, Paul St-Pierre Plamondon (PSPP), inspiré des manœuvres diplomatiques de Jacques Parizeau dans la première moitié des années 1990. L’idée de ce nouveau « grand jeu » avait été soufflée à PSPP par un conseiller occulte — appelons-le le Romancier — à l’occasion d’un passage éclair du chef à Sherbrooke.

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— La France ne pèse plus rien, disait le Romancier. Il faut profiter de l’imprévisibilité caractérielle du nouveau président des États-Unis pour l’amener à se prononcer publiquement en faveur de l’indépendance du Québec.

— Et pourquoi il ferait une chose pareille ?

— Simple. Parce que la séparation physique du territoire québécois va casser le Canada en deux et que, de la Prusse orientale au Pakistan, aucun pays n’a survécu longtemps à une telle fracture géographique. L’Alberta est déjà prête à partir. Pensez à la théorie des dominos !

— Tu veux dire que…

— L’Amérique va ramasser les morceaux. C’est le plan.

— Mais le Québec, là-dedans ?

— C’est ici qu’on entre dans le Grand Jeu proprement dit. La négociation doit absolument rester secrète. On rend service à l’oncle Sam en faisant exploser le Canada ? Alors on doit pouvoir négocier notre place dans le nouvel ensemble. C’est donnant-donnant.

— Négocier avec l’extrême droite ? Ça, jamais…

— Quand le sage montre la lune, l’imbécile regarde le doigt, et quand Donald Trump dit quelque chose, tout le monde regarde Donald Trump. Mais Trump va passer, et personne ne peut prédire ce qu’il y aura après.

— Justement, la stabilité…

— OK, alors parlons de la stabilité du Canada. La cause de la panique actuelle, c’est que le Canada, en tant que social-démocratie postnationale, est une expérience qui a échoué. Le Canada est un État pétrolier qui ne survivra pas au départ de l’Alberta pour cause de tropisme bitumineux. Et pour réunir le pays, le Toronto Star propose quoi ? Une tournée de la famille royale ! Ça, mon PSPP, ça vient du Star, la « gauche » canadienne… Il y a aussi la géopolitique. Pour contrer la montée de l’Empire chinois au cours du prochain siècle, à qui je devrais faire confiance ? À une Amérique de 375 millions d’habitants qui va de l’océan Arctique au golfe du Mexique ou à notre sempiternelle passoire « from coast to coast » ?

— Qu’est-ce que tu fais de nos programmes sociaux ? Tu veux brader le modèle québécois ?

— Moi, tout ce que je sais, c’est que l’automne passé, comme pas mal d’autres patients orphelins, j’ai déboursé 300 $ pour voir un médecin.

— Il y a quand même un problème…

— Quoi encore ?

— Les sondages étant ce qu’ils sont, si on organise un autre référendum, qu’est-ce qui nous permet de croire qu’on va le gagner ?

— J’ai ma théorie là-dessus : dans les 20 % de nationalistes tièdes qui font pencher la balance d’un bord ou de l’autre, la plupart ont peur, je veux dire, vraiment peur. Et la question c’est : seront-ils encore morts de peur le jour où la plus puissante nation du globe va se prononcer en faveur de la souveraineté du Québec ?

— Mais comment faire confiance à Trump ? lança un PSPP au comble du désespoir.

— On ne lui fait pas confiance. C’est un joueur de poker. Et nous, on a un jeu dans les mains…

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Lorsque l’émissaire de PSPP, appelons-le le Négociateur, débarqua dans le plus grand secret à Mar-a-Lago pour être reçu à la table du Don devant une assiette de pâté chinois, l’échange le plus mémorable se déroula en gros comme ceci :

Négociateur : « C’est pas compliqué, on veut l’indépendance politique, la souveraineté culturelle et l’union économique. »

Trump aima ce ton bluffeur. Il se sentait tout de même enclin à jeter ce mangeur de grenouilles aux crocodiles. C’est alors qu’un aide de camp un peu plus intelligent que son patron prit le Négociateur à part et lui dit : « Comme ça, vous voulez devenir le Porto Rico du Nord ? »

— Oui, un Porto Rico industrialisé et assis sur les plus grandes réserves hydroélectriques de la planète.

— Et les Autochtones ?

— On les a déjà reconnus comme nations à part entière. On veut maintenant leur proposer de former une confédération, une vraie cette fois, composée de nos 12 nations. Cela dit, s’ils veulent absolument demeurer au Canada, c’est avec vous autres qu’ils vont devoir s’arranger…

— Bon. Je vais lui conseiller d’accepter, parce qu’en deux ou trois générations, on va vous bouffer tout rond.

— On verra bien. De toute manière, rendue là, l’humanité va avoir un plus gros problème sur les bras. Quand la maison brûle, qui se soucie de la langue dans laquelle on crie au feu ?

Après, les choses étaient allées très vite. La déclaration présidentielle, aussi subtile qu’un camion-bélier, traçant une ligne dans le sable : Washington avait l’intention de soutenir, y compris militairement, les sympathiques prétentions autonomistes de cette petite nation qui souhaitait s’affranchir de la pléthorique bureaucratie de son voisin « socialiste » ; le référendum de PSPP remporté par une mince majorité ; le premier ministre Poilievre faisant son coming out de partisan de l’annexion, etc.

À la proclamation de l’indépendance, Gilles Vigneault, qui venait d’avoir 100 ans, chanta Les gens de mon pays devant l’Assemblée nationale. La même année, le Canadien de Montréal, racheté par le groupe Péladeau, était renommé « le Canayen ». Chez les skieurs américains, la grosse mode était de s’acheter un condo dans le Vieux-Québec ou dans Charlevoix pour pouvoir profiter un jour des dernières pentes enneigées de l’est du continent.

En 2045, la Vieille Capitale dépassait le million d’habitants, et toujours pas de Nordiques sur les rives du Saint-Laurent. Gary Bettman présidait encore aux destinées de la Ligue nationale de hockey. Il avait 92 ans. Peut-être qu’un jour…

Romancier, écrivain indépendant et chroniqueur sportif atypique, Louis Hamelin est l’auteur d’une douzaine de livres.

Ce texte fait partie de notre section Opinion, qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

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