La galerie Cache sort de son terrier

Eric Carlos Bertrand et Tania de la Cruz, de la galerie Cache, présentent l’exposition «Corsi e Recorsi» dans l’édifice Belgo.
Photo: Marie-France Coallier Le Devoir Eric Carlos Bertrand et Tania de la Cruz, de la galerie Cache, présentent l’exposition «Corsi e Recorsi» dans l’édifice Belgo.

Du Centre-Sud au centre-ville, de la discrète rue Cartier à la commerciale artère Sainte-Catherine, du repaire originel à l’édifice Belgo — « la plus grande concentration de galeries d’art contemporain au Canada », lit-on à l’entrée du bâtiment… Ce n’est pas une simple image que d’affirmer que la galerie Cache (ou Cache Studio) passe cet hiver de l’ombre à la lumière.

Depuis la fondation de Cache Studio, en 2016, Eric Carlos Bertrand tenait ses expositions dans son propre atelier — l’homme est peintre. Et comme l’atelier occupe un espace de son domicile, la galerie était jusque-là une affaire privée et intime, loin du trottoir.

Du local loué au 4e étage du Belgo, le plus riche en galeries et centres d’artistes, Eric Carlos Bertrand et sa nouvelle associée, Tania de la Cruz, ont une vue sur l’escalier. Le contraste est frappant : leurs expositions pourraient bien être les premières que les gens visiteront.

« Là-bas, un bon vernissage attirait 200 personnes et notre site Web, le même jour, 250. Ici, pendant trois jours, le site a enregistré 1600 visites et le vernissage, 1000. Et sans avoir changé de stratégie. C’est seulement le fait d’être ici », constatait le galeriste, en entrevue, une semaine après la courue rentrée hivernale du Belgo.

L’arrivée au centre-ville ne transformera pas le projet Cache dans son ensemble. Sortir de la marginalité ne signifie pas rompre avec des principes. Oui, concède Eric Carlos Bertrand, il vient de mettre un pied dans le marché, mais il garde l’autre en dehors — et conserve le local de la rue Cartier. C’est le pied d’une liberté longtemps chérie.

« Notre but n’est pas de représenter des artistes, précise Tania de la Cruz, mais de leur offrir un espace. Un bon nombre n’ont pas de visibilité dans le milieu de l’art. »

Photo: Marie-France Coallier Le Devoir Vue de l’exposition «Corsi e Recorsi» présentée par le studio Cache à l’édifice Belgo.

Dans une autre vie, Eric Carlos Bertrand et Tania de la Cruz, tous deux d’origine mexicaine, travaillaient ensemble au sein de We Are Not Speedy Gonzales (2000-2005), un collectif critique du système de l’art. « Nous faisions des performances et cherchions à jouer les intermédiaires entre les institutions et les artistes, à éliminer la paperasse et toute la lourdeur [administrative]. Nous étions une zone tampon », résume Eric Carlos Bertrand.

C’est parce que lui n’entrait dans aucune case qu’il a créé « son propre contexte ». Le projet de nature rebelle a été élargi afin d’impliquer des peintres selon une formule souple, hors du « système de représentation », hors du joug d’un marchand et sa clientèle. Après des années à tenir ainsi et après notamment avoir exposé 71 artistes depuis 2021, il s’est senti prêt pour un autre combat.

Les cas de Nicolas Robert et d’Eli Kerr, galeristes un peu commissaires, lui ont servi d’exemple, mais plutôt que d’opter pour une adresse ayant pignon sur rue comme eux, il s’est tourné vers le Belgo et ses loyers abordables. Le point décisif aura été la rentrée d’automne. Eric Carlos Bertrand a alors constaté que l’édifice du centre-ville était redevenu un attrait. En trois ans, il est le énième galeriste à s’y établir, après les Patel Brown, Chiguer et tout récemment Duran.

« Un local comme le mien, c’est 3000 $ par mois, taxes incluses. OK, l’immeuble est de classe B, mais il a du charme. Son côté vintage convient à une galerie. »

« Nous avons signé un bail d’un an. Il faut tenir jusque-là », poursuit-il, en reconnaissant le risque financier qu’il prend. Il exploitera tout ce qui sera possible, du sociofinancement soutenu par La Ruche jusqu’à la vente de ses œuvres au Mexique. « J’ai bon espoir. Chaque jour, des collectionneurs se présentent au Belgo. Si au bout j’ai la moitié de mon investissement, nous poursuivrons. »

Parler peinture

Cache sera une galerie de peinture — ce qu’elle est depuis le début — et elle commencera à faire de la représentation, finalement. L’exposition en cours, Corsi e Recorsi, réunit sept artistes, la plupart méconnus. Parmi eux se trouve néanmoins le vétéran Peter Krausz, dont les paysages aux couleurs chaudes vibrent autant que lorsqu’il faisait des grands formats à l’huile. Puis, il y a la surprise Jasmin Bilodeau, l’ex-BGL, qui propose un journal estival en plusieurs tableaux à l’acrylique.

Photo: Marie-France Coallier Le Devoir L’exposition «Corsi e Recorsi» est portée par le thème du cycle, où l’imaginaire et le renouveau se frottent à l’histoire de l’art.

L’exposition est portée par le thème du cycle, où l’imaginaire et le renouveau se frottent à l’histoire de l’art. Le sujet de la nature domine, à l’instar du volcan, majestueux, peint par Isabelle Beaupré dans une petite étude de lumière et de brume.

Eric Carlos Bertrand a toujours misé sur ce qu’il connaît le mieux, la peinture. Son attitude — parler en connaissance de cause — constitue, croit-il, sa différence. C’est ce qui a attiré Cynthia G.-Renard. L’expérimentée peintre, sans galerie depuis plusieurs années, est désormais représentée par Cache. Et c’est elle qui aura droit au premier solo, en mars.

Par courriel, elle explique avoir été convaincue par « l’approche grassroots [à la racine] ». « [Eric Carlos Bertrand] est un galeriste passionné par la peinture au niveau intellectuel et de ses enjeux », écrit celle qui exposait en 2024 dans une maison de la culture.

L’exposition, qui regroupera des toiles terminées il y a un an, signera son retour au Belgo. « Pouvoir présenter mon travail dans un endroit où des artistes jeunes et des vieux-vieilles vont le voir, c’est excitant. J’aime faire partie de la scène artistique et être en conversation avec elle », dit-elle, sans préciser le sujet de ses « dernières folies ». « Ça va vous secouer ! » avance-t-elle, simplement.

Corsi e Recorsi

À la galerie Cache, 372, rue Sainte-Catherine Ouest, jusqu’au 1er mars.

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