La fraude en entreprise, plus courante qu’on le pense

Un patron convoque d’urgence son contrôleur financier. La rencontre par vidéoconférence commence, et les deux visages apparaissent sur l’écran. L’un demande à l’autre des informations et exige de transférer des fonds dans un compte. Tout semble normal, sauf que le patron en question n’est pas vraiment là. Une intelligence artificielle maquille le visage du fraudeur.
Ce cas extrême est arrivé aux États-Unis, raconte Simon Gaudreau, directeur principal aux services d’enquêtes au sein du cabinet de services professionnels MNP. Des fraudeurs pourront tenter le coup ici un jour ou l’autre, si l’on se fie aux innovations criminelles par le passé, affirme-t-il. « On est rendus là. C’est un danger. »
Son équipe vient de rendre publique une étude qui recense la fraude en entreprise au Québec. Ce risque figure parmi l’une des trois plus grandes préoccupations pour seulement 18 % des 256 entreprises sondées au Québec. Parmi les principales inquiétudes des dirigeants, on cite plutôt la pénurie de main-d’œuvre, la conjoncture économique ou la formation de personnel.
« C’est surprenant oui et non, parce que c’est un risque latent. Ce n’est pas dans la gestion quotidienne des entreprises », observe celui qui a contribué à l’étude. Pourtant, une entreprise sur trois sera victime de fraude au cours de son existence, selon cette recherche.
Le nombre de fraudes a d’ailleurs augmenté depuis le premier sondage de MNP sur le sujet. En 2021, 29 % des entreprises avaient été ou « avaient l’impression » d’en avoir été victimes, contre 33 % aujourd’hui.
Pire, les entreprises ne semblent pas apprendre de leurs erreurs. Trois incidents frappent en moyenne les entreprises touchées, contre deux il y a quelques années. Seulement 38 % des fraudes mènent à un congédiement, expose d’ailleurs le sondage. « Il faut quand même montrer qu’on a agi par rapport à ça. Si les employés se rendent compte qu’il ne se passe jamais rien, ça risque d’arriver de nouveau », souligne la collègue de Simon Gaudreau, Corey Anne Bloom, leader des Services d’enquêtes chez MNP. « Ça peut même devenir la culture de la compagnie. »
Plus courant au Québec ?
En 2024, le Centreantifraude du Canada a recensé 50 000 fraudes à l’encontre de 35 000 victimes, pour des pertes totales avoisinant 638 millions en 2024. Dans le monde, la part des revenus totaux qui se sont évaporés à cause de cette forme de criminalité retranche en moyenne 5 % des revenus annuels d’une entreprise.
Bien qu’il n’existe pas de statistiques pour le Québec, la culture d’entreprise d’ici rend la fraude un peu plus probable, avance Simon Gaudreau, notamment en raison d’un niveau de confiance élevé envers ses collègues. « On fait beaucoup confiance. On le voit dans les entreprises, les gens aiment faire confiance à leurs employés. Ce n’est pas nécessairement mauvais, mais il faut faire des contrôles en parallèle. »
« Les PME sont plus visées que les grosses entreprises », renchérit Corey Anne Bloom, « parce qu’il y a un peu plus de confiance entre les gens. On veut une ambiance familiale. On ne veut pas insulter les employés. [Mais] c’est pour les protéger ».
À lire aussi
L’une des meilleures solutions pour lutter contre ce fléau passe souvent par la formation, indique M. Gaudreau. « De un, ça envoie le message aux employés qu’on prend la situation au sérieux. De deux, les employés sont peut-être [pour certains] ceux qui commettent la fraude, mais c’est aussi le maillon fort de l’entreprise, des personnes sur qui on peut s’appuyer. »
En général, 25 % des entreprises n’offrent pas de formation antifraude à leurs employés ; les formations qui sont offertes sont généralement réservées aux membres de la direction. Puisque les fraudeurs trouvent toujours de nouvelles technologies ou de nouvelles astuces pour soutirer indûment de l’argent, les plans antifraude doivent aussi s’adapter, concluent les représentants de MNP.
Ce reportage bénéficie du soutien de l’Initiative de journalisme local, financée par le gouvernement du Canada.