Les Forces armées canadiennes préparent leur grande séduction

Des élèves-officiers et des aspirants de marine se rassemblent dans un gymnase alors qu’ils se préparent pour leur cortège lors de la 129e cérémonie de remise des diplômes au Collège militaire royal de Kingston, en Ontario, le jeudi 16 mai 2024.
Photo: Justin Tang La Presse canadienne Des élèves-officiers et des aspirants de marine se rassemblent dans un gymnase alors qu’ils se préparent pour leur cortège lors de la 129e cérémonie de remise des diplômes au Collège militaire royal de Kingston, en Ontario, le jeudi 16 mai 2024.

Recruter près de 14 000 militaires en cinq ans, c’est la mission que se sont donnée les Forces armées canadiennes pour pallier leur manque d’effectifs. Pour ce faire, la première étape est d’ouvrir plus grand leurs portes.

Après deux années de pandémie qui ont vu fondre ses effectifs, les mesures sanitaires ayant pratiquement mis son recrutement à l’arrêt, après aussi les scandales d’inconduite sexuelle qui ont entaché sa réputation, l’armée canadienne n’arrivait plus à recruter des membres. Depuis 2020, le niveau de ses effectifs s’éloignait de plus en plus de la cible autorisée par le Parlement : 71 500 militaires, auxquels s’ajoutent 30 000 réservistes.

Aujourd’hui encore, il manque près de 14 000 personnes au sein des effectifs des FAC (7039 personnes dans les forces régulières, 6823 chez les réservistes). Autrement dit, il faudrait augmenter de 14 % le personnel militaire pour assurer les opérations courantes actuelles.

Pour renverser cette tendance, l’armée canadienne souhaite donc se transformer de l’intérieur, notamment en modernisant ses règles d’enrôlement. « On veut recruter les Canadiens d’aujourd’hui, et non pas ceux des années 1990, alors il faut s’adapter. C’est pourquoi on est en train de transformer nos standards », explique au Devoir la lieutenante générale Lise Bourgon, cheffe du personnel militaire des FAC.

Certains critères médicaux ont ainsi été revus en 2024 afin d’éviter que l’armée canadienne n’écarte automatiquement des candidats souffrant de problèmes de santé courants qui étaient moins bien compris il y a 30 ans.

« C’est très important, parce que la société a changé. Quand on regarde certaines conditions, comme l’anxiété, le TDAH, les allergies ou encore l’asthme, avant on disait “non”. Aujourd’hui, on va regarder les conditions médicales en se basant sur les individus, en se demandant si leur condition leur permet ou non de suivre les cours de base », explique celle qui a fait son entrée dans l’armée en 1987.

Adapter le processus de vérification

Un autre changement a été mis en place l’automne dernier par les FAC pour mieux regarnir leurs rangs : la modification de son processus de vérification de sécurité, afin, entre autres, d’accélérer le recrutement de résidents permanents.

« En 2023, il y a 30 000 résidents permanents qui ont déposé une application pour [rejoindre] les FAC, et on a été incapables de les transformer en nouvelles recrues à cause de notre processus de sécurité », déplore la lieutenante générale Bourgon. Il fallait en effet parfois 18 ou 24 mois pour traverser le processus, et de nombreux candidats se détournaient finalement des FAC.

Désormais, seule une cote de fiabilité est établie d’entrée de jeu ; il s’agit de la même vérification de base que celle à laquelle doivent se plier tous les employés du gouvernement du Canada. Les vérifications plus poussées sont faites plus tard au fil du processus, ce qui permet d’éviter des goulots d’étranglement administratifs, explique la cheffe du personnel militaire des Forces armées canadiennes. Une meilleure coordination avec Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada devrait aussi permettre d’éviter que les mêmes vérifications soient faites deux fois.

Des résultats encourageants

Si l’évaluation de ces mesures est encore préliminaire, les résultats observés semblent indiquer que celles-ci portent leurs fruits. En 2024, c’était la première fois en cinq ans qu’une augmentation des effectifs était enregistrée au sein des FAC.

« On a enlevé des barrières au recrutement », se félicitait la semaine dernière la cheffe d’état-major de la Défense, la générale Jennie Carignan, en entrevue au Devoir. « Pour vous donner une idée, dans les dernières années, on atteignait 65 % de notre cible annuelle. Là, on est à 80 %, et il nous reste un petit peu plus de deux mois pour terminer notre exercice financier. »

Si ces progrès sont encourageants, il est cependant difficile pour les FAC de pleinement concurrencer le secteur privé, avec ses salaires et conditions plus intéressants, notamment pour certains emplois techniques.

En juillet 2023, le personnel des Forces armées canadiennes a eu droit à une augmentation de sa solde, rétroactive au 1er avril 2021. Cette revalorisation salariale s’est poursuivie pour l’exercice en cours (2 % en 2024-2025), mais elle demeure insuffisante pour compenser la hausse du coût de la vie. Une nouvelle augmentation permettrait d’améliorer la rétention du personnel et d’attirer des recrues, croit Anissa Kimball, professeure en science politique à l’Université Laval et codirectrice du Réseau canadien sur la défense et la sécurité.

Ce texte fait partie de notre section Perspectives.

L’opération de grande séduction des FAC passe aussi par la mise en place de meilleures conditions de travail et d’incitatifs en tout genre. Ainsi, le gouvernement canadien a récemment annoncé que les membres des Forces armées canadiennes auront droit, dès le mois d’avril, à un plus grand nombre de congés annuels. Les congés de maternité et parentaux seront aussi améliorés : désormais, les militaires ne seront plus tenus d’opter pour un congé sans solde s’ils décident de prolonger leur congé parental.

Avec Sandrine Vieira

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