«Une fin»: la fin du monde à l’échelle intime

Photo: Valérian Mazataud Le Devoir Avant tout, «Une fin» est une pièce sur l’humanité.

En cette fin janvier, le contexte semble particulièrement propice pour parler d’une pièce intitulée Une fin et qui met en scène celle des temps. Sébastien David le reconnaît volontiers, entre le brutal changement de règne aux États-Unis, la Californie qui brûle et l’annonce selon laquelle la planète vient de passer à 1,5 degré de réchauffement. « Mais je pense que cette idée de fin peut s’appliquer chaque année. J’ai commencé cette pièce en 2018 et il y avait déjà dans l’air du temps quelque chose d’apocalyptique. »

L’auteur d’Une fille en or et des Haut-Parleurs a beaucoup lu sur la collapsologie, « une science qui étudie les fins possibles de notre monde. Il y a beaucoup de scénarios plausibles. Et le plus plausible serait celui qu’on ne connaît pas, qui n’est pas sur cette liste. Parce qu’on n’a aucune idée de comment le monde va se transformer, concrètement ». Et chaque époque générerait sa crainte particulière. Comme le nucléaire autrefois. « Mais on a de plus en plus de connaissances scientifiques. Alors, je trouve que l’angoisse est encore plus présente, d’une certaine façon. Mais il y a beaucoup d’humour et de légèreté dans la façon dont je l’ai abordé. »

Dans Une fin, créée au Centre du Théâtre d’Aujourd’hui, l’humanité est confrontée à l’expansion du soleil, un scénario qui devrait réellement se produire, mais sur 4,5 milliards d’années. Un clin d’œil au réchauffement climatique qui nous pend au nez et qui a amené Sébastien David à écrire cette pièce.

Photo: Valérian Mazataud Le Devoir «J’ai eu envie de travailler sur quelque chose qui n’était pas grandiloquent, pas spectaculaire. Parce qu’on est dans une ère très spectaculaire. Je n’avais pas envie non plus d’aller dans la violence. Je ne la montre pas. J’ai choisi de mettre l’éclairage sur des humains.»

La crise environnementale prend de plus en plus d’espace dans les médias, mais est parfois ressentie comme une abstraction, croit-il. « On ne voit pas nécessairement ces changements s’opérer. On dirait qu’on y pense, mais qu’on n’y pense pas. En fait, parfois, on dirait qu’on n’ose pas y croire. J’avais envie de partir de cette ambiance-là, que je pressentais déjà autour, mais à travers une fiction complètement théâtrale. Des récits apocalyptiques, il y en a beaucoup en littérature et au cinéma, mais au théâtre, c’est un peu délaissé. »

Et il ne verse pas dans la science-fiction. « J’ai eu envie de travailler sur quelque chose qui n’était pas grandiloquent, pas spectaculaire. Parce qu’on est dans une ère très spectaculaire. Je n’avais pas envie non plus d’aller dans la violence. Je ne la montre pas. J’ai choisi de mettre l’éclairage sur des humains. On regarde ces êtres qui sont déplacés de leur quotidien ou qui sont en compagnie de personnes avec qui ils ne seraient pas nécessairement. »

Entre duos parfois improbables et tableaux de groupe, le récit met l’accent sur les rencontres humaines, à l’approche de la fin imminente. Car pour David, la crise climatique qu’on traverse se double d’une « crise de l’empathie ». « On est radicalisés. Moi-même, je le suis. Tout le monde est un peu dans son coin, en train de juger les autres. C’est facile d’haïr l’autre en ce moment. » Difficile de ne pas ajouter ce problème au dossier à charge des réseaux sociaux, sur lesquels « on regarde les autres vivre » depuis près de deux décennies, en étant placés devant des images ou des opinions qu’on n’aurait pas vues autrement. « Moi, il peut y avoir des gens qui m’énervent juste parce qu’ils ont écrit quelque chose ou montré une photo. Voyons, c’est complètement absurde ! Parfois, je suis fâché. Mais on dirait qu’écrire Une fin m’a aidé. »

Kitsch et tragique

Avant tout, Une fin est une pièce sur l’humanité. Elle s’amorce d’ailleurs par cette interrogation d’un personnage : « C’est quoi, être un humain ? » Une question que Sébastien David s’est réellement posée. « Mais je n’ai pas essayé de trouver des réponses. J’ai laissé des êtres humains vivre. Ils ne sont pas en train de vous dire quoi penser. » L’auteur estime que le théâtre traverse une ère « frontale ». « On est beaucoup dans le discours, dans parler du réel, à travers des formes comme le théâtre documentaire ou l’autofiction. Et moi, je veux protéger la fiction. J’ai essayé de répondre à cette question en créant le plus de personnages possible avec des backgrounds divers et des circonstances différentes. »

Qu’est-ce qu’un humain ? Dans Une fin, c’est l’infirmier qui s’occupe encore des patients alors que le reste du personnel soignant est parti. C’est le vieil homme qui prend en charge un enfant inconnu resté seul. Ou à l’inverse, c’est la tante du garçonnet qui l’abandonne pour partir dans une ultime croisière… « En fait, un être humain, c’est tout ça. C’est parfois être inhumain, manquer d’empathie, ne pas comprendre l’autre. »

Photo: Valérian Mazataud Le Devoir La pièce s’amorce par cette interrogation d’un personnage: «C’est quoi, être un humain?» Une question que Sébastien David s’est réellement posée.

Sans aller dans les extrêmes, sa pièce expose différentes réactions. « Et il y a quand même deux mouvements qui sont présents dans mon écriture, que j’appelle le kitsch et le tragique. » D’un côté, des personnages plutôt « drôles, futiles ». Et d’autres qui portent une quête plus sérieuse.

Devant cette version non sensationnelle d’un cataclysme planétaire, un personnage se met en colère en réalisant que vivre la fin du monde n’est pas à la hauteur des illustrations spectaculaires vues dans la fiction. « Rappelons-nous, pendant la pandémie : au début, on regarde les médias. Mais à un moment, le quotidien de ce [monde] arrêté est d’un ennui terrible. Effectivement, si tout s’arrêtait, dans des circonstances comme dans ma pièce, premièrement, il y aurait beaucoup plus de violence au début. Et après, sinon, qu’est-ce qu’on ferait ? On ferait juste attendre. La fin du monde, ça peut être quelque chose d’absolument extraordinaire, mais ça peut aussi être le contraire : absolument ordinaire. Et c’est là-dessus que j’ai voulu travailler. » L’auteur estime qu’il est parvenu à trouver — « en tout cas j’ose le croire » — la tonalité qu’il recherchait : l’équilibre entre le dramatique, le merveilleux et le banal.

Cent !

Entre la pandémie de COVID-19, qui a nourri les réactions dans sa fresque, mais qui sur le coup l’a rendu incapable d’écrire, et des pauses pour d’autres projets, Sébastien David aura mis six ans à écrire Une fin. Il faut dire que c’est sa pièce la plus ambitieuse : il voulait y faire vivre 100 personnages (« Il n’y en a pas exactement 100, il y a des subterfuges », dit-il), et ne pas avoir de protagonistes. Le récit suit plutôt plusieurs figures récurrentes. « Ça a été vraiment complexe, mais plaisant et ludique à construire. »

Cette complexité explique que celui qui monte généralement ses propres textes en a confié la mise en scène à Laurence Dauphinais et Patrice Dubois, cette fois-ci. « Je pense qu’il fallait un regard neuf. Et je me sens comme un enfant à qui on prépare un cadeau de Noël [rires]. Parce qu’ils travaillent de la bonne façon, j’adhère complètement à ce qu’ils ont choisi comme portrait de mise en scène : ils ont axé ça sur les humains. »

Seize interprètes campent « entre deux et six personnages chacun » dans ce panorama de divers spécimens d’humanité. Et, ce qui fait la fierté de David, aucun n’y fait de la simple figuration.

On a d’ailleurs vu récemment une éclosion de spectacles avec de grosses distributions. Un « contrecoup de la pandémie », qui ne devrait pas durer, croit le dramaturge. « Je pense qu’avec les réalités financières, qui sont absolument terrifiantes — moi, je suis terrifié de ne plus pouvoir vivre de mon métier —, il va y avoir vraiment une réduction. Même, ce que j’entends, c’est qu’il va y avoir moins de spectacles dans tous les théâtres… » Un contexte qu’on pourrait qualifier lui-même de catastrophique pour les arts vivants.

Avec Une fin, Sébastien David désire ardemment « qu’on puisse vivre une catharsis ensemble ». L’ambiance, la musique y tiennent des rôles très importants. « J’avais envie vraiment d’offrir un moment de communion, en laissant de la place aux gens pour penser à leur vie, à se situer par rapport à la crise climatique, à ce qui est important pour eux. Pour réfléchir à leur humanité. »

Une fin

Texte : Sébastien David. Mise en scène : Laurence Dauphinais et Patrice Dubois,

À voir en vidéo