De grands noms de la culture dénoncent le projet d’Hydro-Québec au Quartier latin

Des écrivains, des cinéastes, des metteurs en scène, des professeurs et des artisans de la culture dénoncent, d’une même voix, l’abandon par la direction de la Grande Bibliothèque de ses jardins et de ses espaces verts adjacents au profit de la construction d’un gigaposte électrique d’Hydro-Québec.
L’écrivain Michel Tremblay comme les cinéastes Denys Arcand et Diane Obomsawin, en passant par le professeur émérite Gérard Bouchard et Kev Lambert, lauréat du prix Médicis, comptent parmi plusieurs hautes figures de la société québécoise qui demandent à l’État de revenir sur sa décision de construire un poste électrique de 315 000 volts devant la gare d’autocars de Montréal. Yves Beauchemin, tout comme les écrivaines Nicole Brossard, Monique Proulx et Denise Desautels, déplore lui aussi que la quasi-totalité des espaces verts de la Grande Bibliothèque soit ainsi sacrifiée pour la construction d’une structure de type industrielle.
« C’est dément, affirme le cinéaste Denys Arcand. C’est bien la seule chose à dire : dément. C’est pire que tout ! C’est n’avoir aucune conscience de l’aménagement urbain. C’est du délire ! C’est complètement fou. »
Au moment de tourner Le règne de la beauté (2014), le cinéaste raconte qu’il avait passé beaucoup de temps autour de la Grande Bibliothèque. « C’est un espace que j’ai étudié. J’avais considéré la façon de placer la caméra pour intégrer le bâtiment au film. Vouloir aujourd’hui construire une chose pareille à côté, dans un quartier déjà appauvri, c’est lamentable. S’il y a un endroit à Montréal qui mérite de voir un parc, avec des arbres, quelque chose de joli, c’est bien là. Le fait d’ailleurs que la Ville de Montréal se montre à peu près indifférente à ce qui est à se jouer là n’est pas rassurant. »
Le metteur en scène Denis Marleau se dit pour sa part « surpris de voir un manque de sensibilité total à l’égard de ce quartier, au point d’en venir à défigurer cet espace ». Selon l’homme de théâtre émérite, « cela donne bien l’importance que l’on accorde à la culture au sein de ce gouvernement ».
Lauréate en 2024 du prix Athanase-David, la plus haute distinction littéraire accordée par l’État, Élise Turcotte juge ce projet « vraiment épouvantable ». Qu’on aille de l’avant avec une construction pareille lui apparaît « emblématique de la place qu’on est à enlever à la culture et à l’art au Québec ». Et à son sens, ce n’est « certainement pas avec un projet pareil que le Quartier latin sera enfin revitalisé ».
Pour Alain Farah, professeur à l’Université McGill, on ne « verra pas une chose semblable dans une métropole digne de ce nom ». À son sens, « la pérennité de la ville » se voit sacrifiée « au profit d’une pauvre logique ». « Je me sens écrasé dans la logique étroite du “plus bas soumissionnaire”. »
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Une demande de rétrocession
Non seulement ce poste fera-t-il disparaître pratiquement l’ensemble des terrains verts, mais il va écraser « de son volume tout le quartier environnant », indiquent les signataires. Aussi demandent-ils « la rétrocession de ce terrain à Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ) » et qu’Hydro-Québec s’engage à explorer d’« autres avenues ».
À l’heure où Le Devoir l’a consultée, cette pétition avait déjà reçu plus de 600 signatures. Les signataires affirment s’indigner de cette « décision à courte vue » et opérée de surcroît « en dehors de toute véritable discussion publique ».
Les signataires invitent les Québécois, selon ce que dit la pétition, à ne pas s’en laisser conter : « Ce n’est pas la première fois, ni sans doute la dernière, qu’Hydro-Québec agit de façon impérialiste avec la complicité du gouvernement, observent les signataires. Le plus honteux dans cette histoire est la complicité coupable de la direction actuelle de BAnQ, incapable de défendre sa propre mission et son avenir. Il appartient par conséquent à la communauté, qui chérit BAnQ, de la défendre contre elle-même. »
Une dégradation du Quartier latin
Peu importent les opérations de maquillage architectural, elles ne seront pas acceptables, insistent les signataires. « Nous nous opposons à la dégradation du Quartier latin annoncée par ce projet, quel que soit l’habillage sous lequel on la camouflera. »
Les signataires en ont contre « l’idée que cette installation massive soit dans un futur proche la première image de Montréal des personnes sortant du terminus d’autobus ». Ils disent s’opposer « à l’absence complète de vision urbanistique, à l’absence complète d’égards pour la communauté que ce projet et l’absence de consultations publiques impliquent ».
Le professeur Michel Lacroix a indiqué que cette pétition dont il est l’un des instigateurs résulte de résolutions adoptées avant Noël par l’UQAM.
Un désastre, selon les écrivains
L’Union des écrivaines et des écrivains québécois (UNEQ) figure au nombre des signataires institutionnels de cette pétition. Pour le président, Pierre-Yves Villeneuve, ce projet « est un désastre ! ».
« La culture et les espaces verts, on le voit bien, sont toujours attaqués en premier », commente le président de l’UNEQ. « C’est un des rares espaces verts de Montréal, dans un quartier majeur. C’est une horreur qui prend la place d’un espace important pour les usagers de la Grande Bibliothèque. » Ce projet « est d’autant plus désespérant parce qu’il démontre un manque total de vision en matière d’urbanisme ». L’UNEQ considère en appeler auprès du ministre Mathieu Lacombe.
Réactions de BAnQ et d’Hydro-Québec
Du côté de BAnQ, une réponse officielle indique qu’« il n’était pas dans les plans de BAnQ de vendre le terrain adjacent à la Grande Bibliothèque ». L’établissement affirme ne pas avoir eu le choix. Ce serait « à la suggestion de la Ville de Montréal », explique-t-elle, qu’Hydro aurait « approché BAnQ en janvier 2019 pour nous informer que le terrain de BAnQ était considéré comme l’une des options possibles ».
À sa défense, BAnQ invoque que ses terrains auraient pu être expropriés, mais qu’Hydro a plutôt « négocié les termes de la vente ». BAnQ souligne par ailleurs qu’Hydro s’est engagée à « compenser la perte d’espaces verts par des mesures bénéfiques pour la collectivité ». À ce sujet, l’établissement culturel ne donne cependant pas plus de précisions qu’Hydro-Québec elle-même.
BAnQ ajoute qu’Hydro s’est engagée « à concevoir un bâtiment d’une facture architecturale exemplaire et de haute qualité sur le plan environnemental, ayant une emprise au sol minimale de façon à protéger le Jardin d’art ». Les documents d’Hydro consultés par Le Devoir indiquent que les infrastructures planifiées nécessitent tout le parc en face de la gare d’autocar et jusqu’à 75 % des jardins de lecture aménagés à proximité de la Grande Bibliothèque.
Du côté d’Hydro, on répète qu’« un nouveau poste électrique est essentiel ». La société d’État affirme avoir étudié neuf emplacements situés à moins de 500 mètres de son ancien poste. Selon elle, le seul « qui réponde aux critères techniques est le terrain derrière la Grande Bibliothèque ».
Hydro-Québec dit qu’elle tiendra un concours d’architecture pour habiller la structure industrielle et qu’elle sera « à l’écoute de toutes les propositions du public », tout en s’efforçant de limiter l’emprise de ses structures sur le jardin de lecture. Elle n’entend pas proposer un autre scénario.