Je mourrai en écrivant

Jour
Aujourd’hui, j’ai fait deux siestes. J’en aurais fait une troisième, mais il était déjà l’heure de me coucher.
Une longue histoire
Les tatouages sur mon bras me démangent. Il y a la barque du Vieil homme et la mer et, en dessous, le château qui hante Kafka. J’avais dix-sept ans quand je me suis fait tatouer. Le tatoueur, Alban, vivait dans une roulotte à la campagne. Ce soir-là, comme souvent à cette époque, j’avais beaucoup bu. On avait enchaîné les bières avant de sombrer dans la vodka bon marché. Puis, plus rien. Le trou noir. Quand je me suis réveillé sur son divan, mon bras me faisait un mal de chien. En me traînant jusqu’au miroir des toilettes, j’ai découvert mes nouveaux tatouages… mais aussi d’autres dessins que je n’avais jamais demandés. Parmi eux, des pilules. Alban, encore embrumé, m’a expliqué : « T’as insisté pour que je te tatoue les comprimés que tu prends chaque jour pour digérer. » Résultat : une vingtaine d’enzymes digestives encerclaient mon biceps gauche. Ayoye. Je lui ai alors demandé : « Pis… les entailles partout sur mon bras ? »
Il a éclaté de rire, rotant en ouvrant sa première bière du matin : « Ah ça… c’est toi. Je t’ai dit de te raser avec un rasoir BIC, mais t’étais tellement saoul que tu t’es lacéré la peau. » Aujourd’hui, c’est moi qui suis hanté. Les crèmes ne soulagent en rien les démangeaisons. Et surtout, je ne comprends pas pourquoi elles ont soudainement commencé. J’ai repensé à cette petite boîte à outils que j’ai achetée l’an dernier à la quincaillerie. À l’intérieur, un marteau, un tournevis et un Exacto. Depuis deux jours, l’idée me traverse l’esprit : utiliser la lame pour gratter l’encre gonflée sous ma peau. Pour me changer les idées, je décide de repeindre l’escalier qui mène à ma cave. La maison mobile que je loue a besoin d’un coup de neuf. J’achète un gallon de peinture beige nommé « Pâte à gâteau ». La première fois que je suis descendu dans une cave, j’avais neuf ans. C’était chez mon voisin, sur l’avenue du Cellier. J’étais fasciné par l’idée qu’une pièce cachée puisse exister sous un logement. À mes yeux, c’était un espace de possibilités infinies, une forme de richesse. Dans cette cave, des dizaines de cépages bien alignés et une collection impressionnante de bouteilles d’alcool. Avec mon ami, on faisait semblant de boire à même une bouteille de bourbon, imitant les grands acteurs des films. Peut-être que mon envie de boire est née là, dans cette cave à ville d’Anjou, à neuf ans. Aujourd’hui, je suis abstinent depuis cinq ans. Mais le chemin a été long. Le visage et les doigts couverts de peinture, j’admire mon escalier avec fierté avant de réaliser qu’il va falloir attendre que ça sèche avant de pouvoir remonter.
La culture
Le 29 janvier dernier, le Front commun pour les arts a une fois de plus tiré la sonnette d’alarme en dénonçant la stagnation du financement du milieu culturel. De nombreux organismes ont subi des coupes budgétaires ou ont dû fermer leurs portes. Artistes, journalistes et professeurs ont publiquement exprimé leurs craintes et leur indignation quant à cette situation. Même si, par orgueil ou par pudeur, j’évite parfois d’y penser, je sais que certaines de mes œuvres n’auraient jamais vu le jour sans les subventions gouvernementales. Mes éditeurs ont pu publier mes livres grâce à ces fonds, et la série télé que j’ai écrite a pu être réalisée grâce à cet argent. Bien que je n’aie jamais obtenu de bourse de création du CALQ pour mes romans, je suis conscient que sans le soutien financier de l’État à la culture, certains de mes projets n’auraient jamais existé. Il est donc évident qu’un financement insuffisant menace la carrière de nombreux artistes, qu’ils soient émergents, établis ou encore méconnus, mais qui, avec un peu de chance, réussissent parfois à obtenir une aide précieuse du gouvernement pour exercer leur métier. Je m’adresse au ministre de la Culture, Mathieu Lacombe, et au premier ministre, François Legault. Pensez-y : l’œuvre qui vous a le plus marqué — un livre, un film, une pièce de théâtre, une peinture ou un spectacle de danse — n’aurait peut-être jamais vu le jour sans le soutien financier de l’État à la culture. Monsieur Legault, l’an dernier, vous avez partagé l’un de vos coups de cœur littéraires : La blague du siècle. C’est mon roman. Celui qui vous a fait rire et ému. Aujourd’hui, d’autres œuvres encore plus marquantes risquent de ne jamais voir le jour sans votre appui. Aujourd’hui, je prends la parole pour celles et ceux dont la voix peine à se faire entendre. Ce qui me lie irrémédiablement à toutes ces personnes qui consacrent leur vie à l’art, c’est que, comme elles, je n’ai qu’un seul talent. Et ne sachant rien faire d’autre, comme elles, je suis prêt à mourir pour cet art.