Faire une résidence d’artistes pour critiquer les résidences d’artistes

Après avoir fait des études en beaux-arts à l’Université Concordia et construit un réseau professionnel à Montréal, Jin Heewoong a finalement eu l’occasion d’exposer son projet «Work of Rest» au centre d’art actuel Dazibao cette année.
Photo: Marie-France Coallier Le Devoir Après avoir fait des études en beaux-arts à l’Université Concordia et construit un réseau professionnel à Montréal, Jin Heewoong a finalement eu l’occasion d’exposer son projet «Work of Rest» au centre d’art actuel Dazibao cette année.

L’exposition Work of Rest de Jin Heewoong pose un œil critique sur le concept des résidences d’artistes. Durant une résidence expérimentale de huit jours en 2015 en Corée du Sud financée par les institutions artistiques du pays, l’artiste sud-coréen a effectué un projet qui examine les critères de sélection des résidences et leurs mécanismes de soutien. Celles-ci offrent du financement et un espace destiné à la création pour que les artistes puissent se consacrer entièrement à leur production artistique.

Mais après avoir immigré à Montréal en 2017, M. Jin a eu de la difficulté à trouver du financement, dans un système qu’il connaissait mal, pour exposer le travail qu’il a effectué en 2015. « Je ne comprenais pas encore toute la signification de mon projet à l’époque », explique-t-il. « Entre 2015 et aujourd’hui, j’ai eu des expériences de vie, j’ai eu deux enfants. Et c’était difficile de maintenir mon rythme de travail. »

Photo: Marie-France Coallier Le Devoir Le concept du projet de Jin Heewoong était de déléguer sa production artistique à une autre personne, de documenter ce processus et les obstacles rencontrés afin qu’il puisse se reposer et examiner les complexités des résidences d’artistes.

Après avoir fait des études en beaux-arts à l’Université Concordia et construit un réseau professionnel ici, il a finalement eu l’occasion d’exposer son projet au centre d’art actuel Dazibao cette année. L’œuvre reflète la complexité de trouver un équilibre entre la production artistique et le repos ainsi que les failles du système de résidences.

Le concept de son projet était de déléguer sa production artistique à une autre personne, de documenter ce processus et les obstacles rencontrés afin qu’il puisse se reposer et examiner les complexités des résidences d’artistes. Dans l’exposition, on peut voir des traces qui témoignent des démarches qu’il a effectuées durant sa résidence, telles que des contrats de travail, une vidéo d’appels que l’artiste a effectués pendant son processus de création et des photos prises au cours de l’expérience.

L’artiste a lancé un appel ouvert en Corée du Sud pour trouver quelqu’un qui pourrait se charger de sa production artistique lors d’un séjour de cinq jours à Manille ou au Japon.

Même si M. Jin connaissait déjà certains postulants, il ne les a pas privilégiés. Il a décidé de faire sa sélection en se basant uniquement sur le contenu des dossiers soumis. Il ne voulait pas répéter la pratique courante des résidences d’artistes ; seulement sélectionner les artistes avec qui elles avaient déjà un lien. La candidate retenue était une jeune étudiante en art qui a choisi de faire son séjour à Manille. Elle a été choisie parce que l’esthétisme de sa pratique concorde avec celui de M. Jin.

« Elle devait suivre mes instructions durant ses cinq jours de voyage. Je lui ai fourni des billets pour aller à Manille et l’hébergement et, chaque jour, je lui demandais d’aller à des endroits particuliers dans la ville et de prendre des photos de scènes spécifiques. »

Photo: Marie-France Coallier Le Devoir Jin Heewoong déplore vivement le manque de financement du milieu artistique.

Avec une artiste sous-traitante qui allait se charger de sa production artistique, M. Jin avait alors prévu de se reposer pendant huit jours et de fraterniser avec les autres artistes qui prenaient aussi part à la résidence. Mais il a vite remarqué que le travail de coordination avec sa participante était plus laborieux que prévu.

« Chaque jour, elle devait m’appeler pendant dix minutes. Mais nous n’avons pas réussi à communiquer pendant deux des cinq jours de son voyage ! Une fois, c’est arrivé, car elle n’avait pas de signal wifi », se remémore-t-il. « J’étais très inquiet quand je ne pouvais pas la rejoindre, car, à l’époque, il y avait de l’instabilité politique qui faisait qu’il n’était pas sécuritaire de sortir le soir. Donc, j’ai essayé de la contacter, ça n’a pas fonctionné et j’ai paniqué en demandant aux autres artistes de ma résidence : “Qu’est-ce que je dois faire, maintenant ?” »

Critique

Après cette expérience, M. Jin a conclu qu’il n’était pas possible pour un artiste de se reposer. « J’étais censé être un artiste au repos et la participante était censée profiter de son voyage. Mais en fin de compte, nous n’avons tous les deux pas atteint ces objectifs », raconte-t-il. La participante a aussi conclu que, pour son travail, elle méritait plus de compensation que le billet d’avion et l’hébergement qu’elle a reçus.

« Je critiquais indirectement le système de résidence d’artistes, où tu dois produire quelque chose, comme une exposition ou des discussions d’artistes. Et je me demandais : est-ce qu’on est assez bien payés pour ce travail ? » explique-t-il, déplorant vivement le manque de financement du milieu artistique. « Et quand tu postules pour une résidence et que tu es accepté, tu dois faire une demande de subvention, mais tu n’es pas financé à 100 %. Dans la même logique, la participante s’est sentie exploitée. Parfois, on fait du travail, mais ce n’est pas tous les artistes qui vendent leur travail, qui sont exposés en galerie, qui sont représentés par une agence commerciale. »

Il croit qu’il serait plus pertinent que les résidences soient conçues en fonction des besoins particuliers des artistes. M. Jin cite notamment une résidence à New York pour les mères monoparentales qui offre une garderie sur place et du financement pour leur production artistique. « Il faut se demander si le système de résidences d’artistes est vraiment là pour soutenir les artistes ou si ces structures sont là pour utiliser les artistes et profiter de leur production », conclut-il.

Work of Rest

Jin Heewoong, au Dazibao, du 14 décembre jusqu’au 18 janvier

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