Les études autochtones intègrent les cycles supérieurs au Québec
Collaboration spéciale

Ce texte fait partie du cahier spécial Enseignement supérieur
Des initiatives audacieuses qui allient savoirs traditionnels, décolonisation de la recherche et accès à l’emploi fleurissent sur les campus de la province. L’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue (UQAT) et l’Institut national de la recherche scientifique (INRS) lancent les premiers cursus francophones de maîtrise et de doctorat en études autochtones.
C’est une première au Québec et dans le Canada francophone. L’UQAT et l’INRS se sont alliés pour engendrer deux programmes conjoints en études autochtones, aux deuxième et troisième cycles, à compter de l’automne 2025. Si des étudiants travaillaient déjà sur les questions autochtones depuis plusieurs années, ils étaient éparpillés, voire isolés, dans leurs différents cursus. « On n’avait pas l’effet de cohorte et d’émulation qu’un programme structuré peut apporter, lance Hugo Asselin, directeur de l’École d’études autochtones de l’UQAT. Désormais, ils seront réunis à un seul endroit où chaque aspect est pensé et adapté à la recherche autochtone. » Des cours de méthodologie, d’éthique, mais aussi des séminaires participatifs permettront d’outiller les étudiants, d’ouvrir un espace de partage des expériences et des projets de chacun, et de créer une communauté sensibilisée et durable.
Ces programmes interdisciplinaires s’adressent à tout le monde, mais la porte est grande ouverte aux étudiants autochtones, étant donné les difficultés systémiques auxquelles ils font face. Entre 2001 et 2021, le taux de diplomation des Autochtones est passé de 39 % à 49 % au Canada contre près de 70 % chez les personnes non autochtones, selon Statistique Canada. Au Québec, un récent rapport du vérificateur général indiquait que 31,4 % des Autochtones âgés de 25 à 34 ans n’avaient aucun certificat ni diplôme, contre 9,3 % pour les non-Autochtones. En cause, le peu de soutien scolaire et financier offert et l’insuffisance des actions menées afin d’assurer un environnement sécurisant et culturellement pertinent pour les élèves autochtones.
Des personnes autochtones ont participé à la création des programmes de l’UQAT et de l’INRS, pour façonner des démarches d’enseignement, imaginer des sujets de cours, adapter les méthodes d’enseignement et intégrer des savoirs. Par ailleurs, les étudiants seront encadrés par un comité qui doit absolument inclure une personne autochtone. « On est vraiment dans une approche de coconstruction avec les partenaires, souligne Isabelle Delisle, directrice scientifique à l’INRS. Ça répond à un réel besoin de formation et à un engouement de la société pour des personnes dotées d’une connaissance et d’une sensibilité à ces enjeux dans les milieux gouvernementaux et dans les entreprises. »
Cette démarche ascendante est centrale et s’inscrit dans un processus plus large de décolonisation de la recherche, puisqu’elle permet de répondre à des questions émanant directement des communautés et correspondant à leurs problèmes, leurs réalités et leurs cultures. « La gestion des savoirs se fait différemment en contexte autochtone : on a le devoir de rendre les connaissances aux personnes, mais aussi aux organisations autochtones, ajoute Hugo Asselin. Il y a également la question de la langue dans laquelle on réalise le projet, ou encore le respect du statut des aînés. »
Une expertise de longue date
Pour accompagner les futurs étudiants chercheurs, les deux établissements s’appuient sur une expertise de longue date, notamment grâce à l’École d’études autochtones de l’UQAT. La professeure Carole Lévesque, qui enseigne à l’INRS, a quant à elle fondé le Réseau de recherche et de connaissances relatives aux peuples autochtones, DIALOG, en 2001. Cette plateforme internationale regroupe des centaines de chercheurs, de partenaires autochtones et d’universitaires, et promeut l’amélioration des relations entre les Autochtones et les autres citoyens du territoire. En 2020, une Unité mixte de recherche (UMR) INRS-UQAT en études autochtones a également vu le jour, permettant de réunir une « masse critique » de professeurs et de chercheurs sur ces sujets cruciaux.
Parmi ces spécialistes, Nancy Wiscutie-Crépeau s’intéresse particulièrement à la place des langues autochtones dans la sphère scolaire. La professeure attikamek Suzy Basile travaille sur les questions relatives aux femmes autochtones, dont les stérilisations forcées. Le professeur et chercheur Hugo Asselin fait lui aussi partie de l’unité de recherche, son expertise incluant, entre autres, les changements climatiques et les savoirs autochtones liés à l’écologie forestière.
Les possibilités de recherche seront donc vastes, de l’emploi à la gouvernance, en passant par le rôle des habitats fauniques, la gestion des feux de forêt et les plantes médicinales. L’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO) considère par ailleurs que les peuples autochtones détiennent un patrimoine vivant diversifié et d’une immense richesse, souvent sous-estimée.
Leadership autochtone
L’Université de Montréal proposera, dès le printemps 2025, un programme de soutien à la recherche d’emploi destiné aux personnes autochtones récemment diplômées de moins de 35 ans. Cette initiative est née d’un financement de la Fondation McConnell et d’un partenariat avec l’Université de Vancouver Island, qui offre ces services à ses étudiants par l’entremise du programme Indigenous Intern Leadership. « L’objectif est d’avoir un service centralisé qui permet de briser les barrières à l’emploi pour les diplômés autochtones de partout au Québec, en s’adaptant à leurs multiples réalités », explique Leticia-Uasheiau Bacon, coordonnatrice à la sécurisation culturelle au Vice-rectorat à la planification et à la communication stratégiques de l’UdeM.
Mme Bacon rencontrera les diplômés afin de déterminer leurs besoins et faire le lien avec des entreprises pouvant répondre à leurs attentes. « Ils seront suivis pendant deux ans, pour veiller à ce que tout se passe bien sur le lieu de travail et en matière de sécurisation culturelle », ajoute-t-elle. Ce concept a pour but de reconnaître et de respecter les différences culturelles et sociales ainsi que les effets de la colonisation afin de créer un environnement dans lequel les personnes se sentent en sécurité, soutenues et visibles. Un système de mentorat sera mis en place sur les lieux de travail, avec une personne sensibilisée à ces réalités, notamment en par le biais de la formation « Place aux premiers peuples » de l’UdeM.
Les chefs de l’Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador (APNQL) et de l’Assemblée des Premières Nations de la Colombie-Britannique ont également participé à la mise en place du programme. Le chef de l’APNQL, Ghislain Picard, a mentionné le manque d’ingénieurs autochtones dans les communautés. Une attention particulière sera donc portée à cette discipline, mais les diplômés de tous les milieux et secteurs peuvent s’inscrire.
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