L’éphémère Projet Casa en voie de devenir permanent
C’est un des lieux les plus singuliers du monde des arts visuels à Montréal. Le Projet Casa est à la fois un centre d’exposition ouvert au public et la maison — littéralement — de Paul Hamelin et Danielle Lysaught. Ce projet éphémère, lancé en pleine pandémie pour permettre aux artistes émergents d’exposer leurs œuvres malgré les confinements, est appelé à devenir pérenne grâce à un investissement de plus de 2 millions de dollars des deux mécènes.

Le couple a accueilli des artistes et des journalistes dans sa magnifique résidence patrimoniale de l’avenue de l’Esplanade, devant le mont Royal, jeudi. Il a annoncé un investissement majeur visant à agrandir et à rénover l’immeuble centenaire du Plateau-Mont-Royal pour en faire un lieu permanent consacré aux artistes de la relève.
Le centre d’exposition restera au rez-de-chaussée (et dans une partie de l’étage du dessus), où les pièces d’un blanc immaculé, aux larges fenêtres et aux plafonds hauts, ont accueilli dans les cinq dernières années 39 expositions, 143 artistes et 15 000 visiteurs. Le couple habitera aux deux étages supérieurs, qui seront agrandis.

Les travaux doivent commencer dans les prochaines semaines et prendre fin à l’automne 2026. Après les rénovations, Paul Hamelin et Danielle Lysaught n’auront plus à côtoyer les visiteurs du centre d’exposition dans leur cuisine, qui se trouve à deux pas des salles où les œuvres sont exhibées.
« La cuisine qu’on partage, ça a un certain charme, mais ça a peut-être assez duré ! » lance en riant Paul Hamelin en nous faisant visiter la grande maison baignée de soleil. Une odeur de café se répand dans le centre d’exposition.
Le couple d’amateurs d’art, qui a fait fortune dans le domaine de l’informatique, a acheté la maison du 4351, avenue de l’Esplanade en 2019. En plus de l’habiter, il avait la « vague idée » d’en faire un lieu culturel. La pandémie a bousillé ses plans en mars 2020.
500 jours d’exposition
Une voisine et amie, Florence-Agathe Dubé-Moreau, commissaire indépendante en art contemporain, a suggéré à Paul Hamelin et à Danielle Lysaught d’accueillir des artistes émergents dont les expositions avaient été annulées à cause du confinement. Le Projet Casa a ainsi commencé, en juillet 2020, à accueillir des expositions ainsi que des visiteurs par petits groupes — vous vous souvenez des « bulles » de personnes qui avaient le droit de se côtoyer ?

Depuis, le couple a ouvert les portes de sa maison durant plus de 500 jours pour des expositions. Les artistes ne tarissent pas d’éloges envers les deux mécènes, des gens profondément humains, accueillants, rassembleurs et amoureux de l’art contemporain. Les artistes émergents adorent aussi ce lieu « où l’on se sent bien ». L’endroit est « plus chaleureux et moins intimidant » qu’un musée, une maison de la culture ou une galerie d’art.

« Le Projet Casa est une véritable institution montréalaise », dit Moridja Kitenge Banza, président de Culture Montréal.
Cet artiste visuel a présenté au Projet Casa son exposition ironique National Museum of Africa en 2021. Le concept était décapant : l’artiste a présenté une trentaine de socles vides, parce que les œuvres avaient été pillées par les colonisateurs européens. Les réactions des visiteurs variaient entre amusement et frustration.

En plus d’accueillir son exposition, le couple Hamelin-Lysaught a donné un formidable coup de pouce à Moridja Kitenge Banza en lui offrant un séjour de création dans l’appartement logé au sous-sol de la vaste maison (qui sera aussi rénové). Il créait la nuit et avait un autre emploi le jour.
Des expositions marquantes
Le projet Soyez féconds et multipliez-vous, de Heidi Barkun, a aussi marqué les esprits, en 2022. L’exposition revenait sur l’histoire mouvementée de l’immeuble de l’avenue de l’Esplanade, qui a hébergé un hôpital pour la communauté juive entre les années 1963 et 1979.
L’artiste rappelait un épisode méconnu de l’histoire montréalaise : sous la direction du Dr Phineas Rabinovitch, cet immeuble accueillait en toute discrétion, dans les années 40 et 50, des « mères célibataires » francophones qui venaient accoucher. Elles offraient leur enfant en adoption à des familles juives.
Un autre illustre médecin, le Dr Max Wiseman, un des fondateurs de l’Hôpital général juif de Montréal, a été propriétaire de la maison de l’avenue de l’Esplanade, de 1921 à 1938.

Le bâtiment a été construit en 1912-1913 pour l’homme d’affaires Raoul A. Girard. L’architecte Joseph-Arthur Godin avait conçu cet immeuble de deux étages qui se démarque par son revêtement de briques de terracotta émaillé blanc. Le revêtement sera refait à l’identique au cours des prochains mois. La firme La Shed Architecture sera chargée du projet de rénovation et d’agrandissement.
Le Projet Casa tient des « portes ouvertes » vendredi, samedi et dimanche (du 10 au 12 janvier), avant de fermer près de deux ans pour les rénovations : l’artiste Jannick Deslauriers ouvre les portes de son atelier, avant d’installer son exposition solo au Musée d’art de Joliette et de présenter des œuvres à New York et à Milan.