Entre taux d’intérêt et taux d’inflation élevés
Entre taux d’intérêt et taux d’inflation élevés… Cette fois, la lutte contre la hausse des prix risque d’être plus difficile encore que la précédente pour la Banque du Canada. Et assurément plus compliquée, stagflation et choc de l’offre étant deux ingrédients difficiles à faire cohabiter avec une politique monétaire ayant les taux d’intérêt pour principale arme. À moins d’un revirement inattendu de dernière minute de la part de M. Trump…
Entre l’application de tarifs douaniers de 25 % sur les biens importés du Canada et la menace canadienne de représailles « dollar pour dollar »… Dans son Rapport sur la politique monétaire publié cette semaine, la Banque du Canada esquisse un scénario de récession et d’inflation appelé à être plutôt ressenti. Pour le premier impact, dans la calibration principale, la croissance annuelle moyenne du produit intérieur brut (PIB) se situerait à environ 2,5 points de pourcentage — voire trois points — de moins que dans le scénario sans droits de douane la première année, et à environ 1,5 point de moins la deuxième. Dans une simulation publiée en juillet 2019 sur la base d’un scénario similaire incluant une riposte au même niveau des partenaires commerciaux, on évoquait une diminution approximative de 6 % du PIB canadien, s’expliquant en grande partie par des exportations et des investissements des entreprises plus faibles.
À titre de comparaison, l’impact pour le PIB américain des tarifs sur les importations entrant aux États-Unis serait de l’ordre de 1,2 point de pourcentage, selon Oxford Economics. La Chambre de commerce du Canada a estimé pour sa part que de tels tarifs pourraient réduire le PIB du pays de 2,6 %, ce qui équivaut à un coût de 1900 $ par an par ménage. Pour les États-Unis, cela signifierait une baisse de 1,6 % du PIB et une perte équivalant à 1300 $US par an par ménage.
Inflation à 3 %… sur la durée
Au chapitre de l’inflation, la projection avancée par la banque centrale cette semaine est que l’impact pourrait aller jusqu’à 3 %. En 2019, on avançait la thèse d’un impact maximal sur l’inflation tel que mesurée par l’indice des prix à la consommation (IPC) d’environ 3 points de pourcentage (en glissement annuel), atteint au bout d’à peu près un an. Cette semaine, la banque centrale précisait qu’il serait de plus longue durée. Du moins, « comme le scénario prévoit que les hausses de coûts associées aux mesures de rétorsion tarifaires du Canada seront reportées graduellement sur les prix à la consommation pendant trois ans, l’inflation selon l’IPC serait soumise à des pressions haussières constantes durant cette période ».
Il est rappelé que l’ampleur des répercussions économiques dans un pays qui impose des droits de douane sur les importations — une logique valant pour les représailles — dépend fortement de la capacité des entreprises et des ménages à trouver des biens de substitution qui ne sont pas visés par de tels droits. « Quand il n’y en a pas, ou qu’ils ne peuvent pas être facilement produits en plus grande quantité à cause de contraintes de capacité, les droits de douane perturbent davantage l’économie réelle et entraînent une inflation plus élevée. »
De plus, si un droit de douane permanent provoque une augmentation unique du niveau des prix à la consommation, le jeu des attentes inflationnistes aura également une incidence sur le rajustement éventuel sur les autres prix et les salaires. Par conséquent, si ces attentes sont conformes à la cible (de 2 %), la hausse de l’inflation mesurée par l’IPC sera temporaire, souligne la banque centrale. Autrement… Et, cela dit, cette augmentation, même unique, se veut également permanente. Certes, la pandémie nous a enseigné l’effet de glissement annuel de l’inflation sur la politique monétaire. Mais aussi son effet récurrent sur le pouvoir d’achat des ménages. Ces derniers s’en ressentent encore même si l’inflation est revenue à la cible.
Représailles inflationnistes
Il est indéniable que des mesures de rétorsion tarifaires que le Canada appliquerait à tous les biens importés des États-Unis auraient des effets directs et indirects sur le prix des intrants et sur les prix à la consommation. « Les biens finaux de consommation en provenance des États-Unis et les intrants qui entrent dans la fabrication de biens finaux représentent environ 13 % des biens du panier de l’IPC », souligne la Banque du Canada. Le résultat net dépendra donc de la capacité des ménages et des entreprises canadiennes à remplacer ces biens.
S’ajoute celui de la dépréciation du dollar face à sa contrepartie américaine. Combinés à la dépréciation du dollar canadien, les effets directs et indirects sur les prix « contrebalanceraient largement » la pression baissière sur l’inflation venant d’un creusement de l’offre excédentaire dans l’économie canadienne, ajoute la Banque du Canada.
Découplage monétaire
Ainsi, les Canadiens ne peuvent compter sur l’effet adoucisseur d’un dollar fort. Face à sa contrepartie américaine, il est tombé jeudi sous les 0,69 $US, et les économistes du Mouvement Desjardins le voit osciller autour des 0,65 $US. Il se maintient autour des 0,70 $US depuis les élections américaines, après que les menaces tarifaires de Donald Trump l’eurent fait décrocher de son niveau des 0,75 $US couvrant une grande partie de 2024.
Un écart qui n’est pas appelé à se résorber avec le découplage des politiques monétaires entre le Canada et les États-Unis. La Banque du Canada a commandé le 29 janvier une sixième baisse de suite de son taux directeur, pour le ramener à 3 %. Pendant ce temps, au sud de la frontière, la Réserve fédérale faisait une pause et laissait le sien dans l’intervalle de 4,25 % à 4,5 %. La Réserve fédérale n’a pas besoin « d’agir dans la précipitation » et d’abaisser davantage ses taux alors que l’économie des États-Unis, et tout particulièrement son marché de l’emploi, reste solide, a estimé mercredi le président de la Fed, Jerome Powell, selon les propos recueillis par l’Agence France-Presse.
Et vendredi, le département du Commerce évoquait un rebond de l’inflation à 2,6 % sur un an en décembre contre 2,4 % un mois plus tôt. L’inflation progressait ainsi pour un troisième mois d’affilée en décembre aux États-Unis, selon l’indice des prix de base de la consommation des particuliers (indice PCE), largement suivi par la Fed, ce qui éloigne la perspective d’une baisse rapide des taux aux États-Unis. D’autant que l’on venait d’annoncer que l’économie américaine avait terminé 2024 avec une croissance de 2,8 %.
Reste l’impact des mesures budgétaires visant à adoucir les effets de cette guerre commerciale.
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