L’église de Fassett risque d’être rasée

L’église de pierres grises centenaire de la municipalité de Fassett, près de Montebello, fera-t-elle bientôt place à des immeubles locatifs ? C’est le souhait de promoteurs.
Le comité de démolition de cette municipalité de l’Outaouais a donné son accord pour que l’église Saint-Fidèle soit démolie, tout en insistant paradoxalement sur son importance.
Selon le procès-verbal du 28 janvier consulté par Le Devoir, l’instance municipale reconnaît « la valeur patrimoniale du bâtiment de par son année de construction, soit 1918, l’histoire de l’immeuble à travers le temps, sa contribution à l’histoire locale, la citation de la municipalité en 2014 et son inscription à l’Inventaire du patrimoine bâti de la région de l’Outaouais ».
La décision de démolir l’église n’en est pas moins tombée. Elle doit en principe être entérinée par le conseil municipal le 12 février, même si le maire est absent pour deux semaines.
Les demandeurs ont fait valoir devant la municipalité leur volonté d’utiliser l’emplacement de l’église pour y ériger, à la place, cinq immeubles de six logements chacun.
L’obligation d’entretien
Selon la directrice de la municipalité, Mme Chantal Laroche, peu importe l’absence du maire : le comité de démolition rend des avis qui sont décisionnels. « Il faut maintenant que l’avis soit confirmé par la MRC. Tous les documents ont été envoyés à la MRC. Ça peut prendre jusqu’à 90 jours. »
« J’ai écrit et j’ai téléphoné à plusieurs reprises aux bureaux du ministre de la Culture et des Communications, Mathieu Lacombe, indique l’architecte montréalais Jacques Benmussa. Je n’ai même pas eu d’accusé de réception. »
Selon l’architecte, l’acte de vente de l’église par l’évêché comportait des obligations de préservation du site, en plus des obligations qu’implique la citation légale de la municipalité.
La Fédération Histoire Québec (FHQ), laquelle rassemble un ensemble de sociétés québécoises, a manifesté sa vive opposition auprès de la municipalité autant qu’auprès de l’État. « Notre opposition se base sur la décision prise […] par le conseil municipal de Fassett de citer l’édifice pour sa valeur patrimoniale. Si un tel statut de protection a été accordé en 2014, le plus élevé qu’une municipalité peut donner, c’est que les citoyens et citoyennes de ce lieu, mais aussi leurs élus locaux, voyaient dans l’église […] un élément important de la localité », peut-on lire dans une lettre officielle.
La FHQ rappelle en outre que « la Loi sur le patrimoine, dont les dernières modifications datent de 2021, donne aux municipalités les outils nécessaires pour faire respecter son patrimoine, d’autant plus qu’elle l’a cité ».
En entrevue au Devoir, Clément Locat, président du comité du patrimoine de la FHQ, estime qu’« on est, une fois de plus, devant un cas de démolition par abandon. C’est pour ça que nous avons contacté la municipalité comme la MRC. Ce n’est pas seulement de la disparition d’une église qu’il s’agit, mais d’une perte pour le paysage québécois. On dirait que c’est traité comme s’il s’agissait d’un vieux hangar ! Et ce n’est pas le seul endroit où c’est comme ça. »
Pour Clément Locat, « citer un bâtiment en vertu de la loi, ça veut dire qu’il y a obligation de l’entretenir ! D’ailleurs, les municipalités ont le pouvoir d’obliger à ce que les bâtiments soient entretenus. Dans le cas de l’église de Fassett, elle a plutôt été laissée à elle-même »…
Un clocher décapité
Le comité de démolition note que pratiquement aucun travail d’entretien n’avait été fait sur le bâtiment. Puis, en 2022, le bâtiment a subi les assauts de fortes rafales. Le clocher s’est décroché. Cependant, le corps même du bâtiment est pour sa part resté bien en place. Il aurait fallu le protéger, note l’architecte Jacques Benmussa. « Cela n’a pas été fait. »
La municipalité aurait-elle négligé d’exiger du propriétaire de l’église qu’il la préserve, comme la loi le lui permet ? « C’est possible que ce soit le cas », affirme la directrice de la municipalité, Mme Chantal Laroche.
Considérant qu’il est minuit moins une pour sauver le bâtiment, la FHQ a affirmé au Devoir qu’elle envoyait, en urgence, une nouvelle demande de préservation à la municipalité et à la MRC, en réitérant la valeur sociale du lieu ainsi que sa valeur en matière de « développement durable ». « Est-il logique et défendable de démolir des bâtiments solides, majestueux, construits à partir de matériaux nobles, de remplir ainsi des dépotoirs et de les remplacer par des bâtiments à courte durée de vie ? »
L’église de Fassett est un des nombreux anciens bâtiments de culte qui ont été désacralisés au Québec. L’église au clocher ogival a été cédée en 2019 aux Entreprises Faubert. Cette compagnie l’a utilisée comme atelier d’ébénisterie avant de fermer ses portes. Les acheteurs, Patrick Lemay-Faubert, ébéniste, et Falina Mapp-Joanis, une femme d’affaires, seraient aussi propriétaires d’une compagnie de gestion immobilière, du moins selon ce que rapporte le quotidien Le Droit après avoir consulté l’acte d’achat. Selon le registre des entreprises du Québec, Mme Mapp-Joanis est plutôt active à titre d’exploitante « de bâtiments non résidentiels », en plus d’offrir des services de design.
Quelle protection ?
Michel Prévost, le président de la Société d’histoire de l’Outaouais, considère que « ce qu’il y a de plus préoccupant est de croire aujourd’hui qu’un bâtiment est protégé parce qu’il est cité ». Selon lui, on voit bien que ce n’est pas le cas.
« Il est certain que des petites municipalités sont plus intéressées par des logements neufs » que par la protection des bâtiments anciens, affirme-t-il. Est-ce parce que les municipalités tirent uniquement leurs revenus de la taxation sur les immeubles ? Pour Michel Prévost, en tout cas, « il faut trouver à agir avant d’en être rendus là partout ailleurs aussi. Pour ce qui est de Fassett, il y a peu de chances que la municipalité recule ».